La Tunisie traverse une période difficile, incontestablement attendue au vu de l'envergure de l'exploit réalisé de main de maître par le peuple tunisien. L'avènement de cette deuxième indépendance du joug de la dictature et de l'oppression d'un régime totalitaire exercé sadiquement vingt trois ans durant place désormais notre pays dans une phase de transition décisive de l'issue de laquelle dépendra son sort. A l'aube de cette nouvelle ère de bon augure, et qui promet monts et merveilles en termes de liberté, de démocratie et de justice sociale, la situation est loin d'être au beau fixe, pour ne pas dire qu'elle est inquiétante. L'économie, si l'on se réfère aux statistiques, est au point mort et peine à se relancer ; la productivité, sous l'effet du phénomène à la mode des contestations professionnelles parfois abusives, boîte et ne parvient pas à atteindre sa vitesse de croisière. Politiquement, la situation n'est pas plus reluisante, même si certains acquis réalisés sont à vrai dire de taille. Nous vivons au rythme d'une dualité gouvernement/forces vives du pays peu constructive et parfois handicapante. Les uns décident et les autres contestent ; au sein même du Commission de Réalisation des Objectifs de la Révolution, dont la question de la composition a suscité de vives polémiques avant même d'entamer ses prérogatives, des voix discordantes prennent souvent le devant de la scène pour semer la désunion et entraver l'élaboration du texte de la loi électorale définissant les modalités y afférentes. A quatre mois à peine de l'échéance fatidique de l'avènement de l'Assemblée Constituante, l'heure n'est plus à la désunion et la concorde est une priorité majeure ; les considérations étroitement subjectives et les magouilles politiciennes sont à ignorer, voire à bannir en cet instant historique, crucialement décisif où chaque membre de cette haute instance se doit d'assumer consciencieusement ses responsabilités et de mesurer la gravité de ses positions. Violence Sur le plan social, la rue gronde de nouveau, des incidents surviennent incessamment, faisant monter la tension. Pour sporadiques qu'ils soient, ils ne sont que pour maintenir vives la hantise de la dérive et la crainte de la dégringolade. Chaque jour nous apporte son lot d'incidents, aussi graves et répréhensibles les uns que les autres, survenant dans plusieurs régions de la république : un haut représentant de l'Etat est violemment agressé dans son bureau au siège du gouvernorat à Tozeur, une première dans l'histoire de la Tunisie ; on s'acharne sur son supérieur hiérarchique pour le pousser au départ ; on prend en otage la voie publique pour manifester sa colère et revendiquer un droit prétendu ; l'immolation par le feu est devenue monnaie courante, plusieurs cas ont été signalés dans plusieurs villes du pays, à Sfax, à Djerba, à Menzel Témime, à Sidi Bouzid, etc…, empirant davantage les relations déjà tendues entre les citoyens et la police ; d'autres brandissent la menace de l'immolation par le feu exploitée comme un moyen de pression, chaque fois qu'ils sont contrariés ou que leur requête ne vient pas à être satisfaite. Comportement incompréhensible En somme, qu'arrive-t-il à ces Tunisiens pour changer brusquement de visage ? Avons-nous affaire à ce même peuple qui, trois mois plus tôt, était l'architecte de ce mémorable exploit qui lui a valu tous les honneurs et qui a suscité l'admiration et l'estime du monde entier ? Tous ces fauteurs de troubles, ces justiciers autoproclamés des circonstances exceptionnelles et ces pêcheurs dans les eaux troubles, sont-ils ces mêmes citoyens qui, pendant les premiers jours difficiles qui ont suivi la Révolution, ont pris leur destin en main en assurant la sécurité de leurs quartiers ? Ce peuple, auteur d'un formidable élan de solidarité face à la crise humanitaire découlant du flux ininterrompu des réfugiés à Ras Jedir et à Dhiba, est-il capable aujourd'hui d'être à l'origine de tous ces dérapages qui ne cadrent pas avec l'esprit de la Révolution ? Assurément pas. Des forces réactionnaires occultes, maniant à merveille l'art de l'endoctrinement et de la manipulation, agissant toujours dans l'ombre pour semer la discorde, seraient sans nul doute les plus grands bénéficiaires de la prévalence d'un tel chaos. La Révolution bénie du 14 janvier n'a été voulue par tout un peuple que pour rendre à notre pays sa sérénité bafouée par tant d'années de bavures et de corruption, que pour réconcilier le Tunisien, en manque de confiance, avec sa patrie et ses gouvernants. Néanmoins, trois mois après l'avènement de l'heureux exploit historique, l'heure est encore à la suspicion, à l'incertitude et à l'expectative de jours meilleurs, or nous avons hâte de le fêter allègrement et dignement, de retrouver enfin le sourire et de crier follement et à l'unisson notre félicité au titre de ce glorieux changement.