Au début des années 70, Moncef Gachem ramena à la maison un trésor d'un genre nouveau qu'il m'offrit. C'était le livre de l'écrivain marocain Mohamed Kheïr-Eddine « Corps négatif » suivi de « Histoire d'un bon Dieu ». Ce fût, pour moi, une très grande révélation. D'autant qu'une photo de l'auteur, habillé d'une veste fourrée, était reproduite avec une légende indiquant que ce jeune marocain né en 1941 à Tafraout avait été respectueusement salué à l'âge de vingt-six ans grâce à la parution de son premier roman. C'était «Agadir» publié en 1967, une ballade toute endeuillée à travers les décombres de cette cité frappée par un terrible séisme. Un an après cette catastrophe, Kheïr-Eddine s'installe dans la cité détruite (1961) où il est chargé par la Sécurité sociale d'enquêter auprès de la population. Jeune écrivain, il fréquente ensuite le cercle des Amitiés littéraires et artistiques de Casablanca et en 1964, il fonde avec Mostapha Nissaboury, le mouvement «Poésie toute». En 1965, sentant que le vent allait mal tourner, il n'avait que deux choix : ou bien rester au pays et subir une répression qui ne tardera pas à venir ou bien opter pour l'exil comme beaucoup d'artistes maghrébins de sa génération. Il échoit donc en France, vit d'expédients avant de devenir ouvrier dans la banlieue parisienne. A partir de 1966, il publie dans la revue «encres vives» et collabore en même temps aux Lettres nouvelles et à Présence africaine. Il ne tardera pas longtemps à être révélé au grand public avec son roman Agadir, salué par le prix Enfants terribles qu'avait fondé Jean Cocteau. Il y publie beaucoup et anime pour France-Culture des émissions radiophoniques nocturnes. En 1979 éreinté par une vie parisienne hache-nerfs, il rentre au Maroc et y demeure jusqu'en 1989, année où il est de nouveau poussé à se réinstaller à Paris où il tente tant bien que mal, de renouer avec le théâtre. Il faudrait attendre 2002 pour que ses œuvres jusque-là interdites au Maroc, commencent à être rééditées. La critique avait, à maintes reprises, parlé de plume rimbaldienne unique concernant ce poète au verbe cinglant comme un sabre. Alors comment se fait-il que l'on reconnaisse un Ben Jelloun et que l'on ignore un Kheïr-Eddine ? Sûrement, ces grands perdants que sont les Génies n'y échappent que très rarement.