Jusqu'à une date récente, nous n'avons jamais évalué les risques auxquels expose le travail du bois, Mais un jour, au souk de Mellassine, un marchand de portes et de fenêtres nous parla des maladies dont il souffrait et qui l'avaient contraint à abandonner son premier métier, la menuiserie, pour désormais s'adonner seulement à la vente du bois fabriqué. « J'ai dû fermer mon atelier pendant de longs mois et lorsque les médecins m'ont conseillé d'arrêter la menuiserie, je ne me voyais vraiment dans aucun autre secteur. Alors, j'ai choisi mon commerce actuel qui ne me préserve que partiellement des affections et des maladies graves qui menacent les travailleurs du bois. En fait, je ne tiens la boutique que 4 heures par jour, deux heures le matin et autant l'après-midi. Le contact prolongé du bois fraîchement transformé m'est strictement défendu, car sinon mes affections et mes allergies reprennent et leur traitement se complique ! Pour le moment, je n'ai pas le choix ; mais le jour où une chance s'offrira à moi pour exercer un autre métier, je ne la raterais pas pour tout l'or du monde !». Nous crûmes au début que c'était un cas isolé d'artisan à la santé fragile, mais en lisant tout récemment un dossier très consistant publié par l'Institut de Santé et de Sécurité au Travail sur les pathologies et les dangers parfois mortels auxquels expose la transformation du bois, nous comprîmes pourquoi notre interlocuteur de Mellassine voulait changer d'activité. En cette saison de préparatifs aux mariages et d'achats de meubles en bois, il ne serait pas inutile de prendre connaissance du « prix » réel que coûte, en termes de risques sanitaires et d'accidents, la fabrication de ces objets. Poussière de bois L'exposition à la poussière de bois entraîne à elle seule un certain nombre de pathologies plus ou moins graves : asthmes, rhinites, conjonctivites, broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), syndrome toxique des poussières organiques, alvéolite allergique extrinsèque (AAE), fibrose interstitielle diffuse (FID), silicose, cancer du nez et du sinus et cancer broncho-pulmonaire. C'est désormais une certitude : la fabrication de meubles, l'ébénisterie, la charpenterie et la menuiserie sont classées par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) comme des activités cancérigènes. A propos de cancers justement, il est actuellement prouvé que certains produits de traitement du bois contiennent des éléments très toxiques et également cancérigènes : sont principalement incriminés l'arsenic, le créosote, les chlorophénols, l'hexachlorobenzène, et des produits de teinture ou de vernissage tels les éthers de glycols. Les plus exposés à ces affections sont les ouvriers des ateliers à qui sont confiées les tâches de sciage et de ponçage dans la mesure où ces opérations libèrent une quantité importante de poussière et de produits chimiques. Machines à risque Mais il faut tenir compte aussi des risques d'accidents liés aux machines sur lesquelles les ouvriers du bois travaillent et qui sont classées parmi les plus dangereuses au monde : les statistiques avancées par l'Institut de Santé et de Sécurité au Travail (ISST) montrent qu'en Tunisie, un accident grave sur trois survient dans le secteur du bois et qu'annuellement, on enregistre un accident avec arrêt de travail pour huit salariés du secteur du bois. En termes plus concrets, un travailleur du bois a 2 fois plus de risque d'être victime d'un accident de travail que la moyenne nationale. Les accidents les plus spécifiques restent ceux de la main : une étude effectuée dans le Grand Tunis en 2003 montre que le secteur de la menuiserie est celui qui enregistre le plus d'accidents de ce genre. Cette enquête révèle par ailleurs que 36 % des accidents justifient un taux d'incapacité physique permanente de plus de 14%. Taux élevé de surdité L'autre risque paraît moindre par rapport à ceux que nous venons d'évoquer : il est dû au bruit lésionnel auquel s'exposent les travailleurs pendant les opérations d'écorçage, de sciage, de délignage, d'éboutage, de rabotage, de ponçage, de broyage et de déchiquetage. Ces ouvriers sont menacés à long terme de perte auditive totale ou partielle. En Tunisie, et toujours selon les données avancées par l'ISST, la surdité occupe le premier rang parmi les maladies indemnisables déclarées chez les travailleurs du secteur du bois et de l'ameublement. Sur un autre plan, il y a lieu de citer les affections dues aux gestes et aux postures du travailleur du bois : des inflammations des tendons, des gaines synoviales et des bourses séreuses ainsi qu'une compression nerveuse peuvent en effet résulter du déplacement et du soulèvement maladroits de charges lourdes, ou bien des positions incommodes prises lors de l'accomplissement de certaines tâches. La leçon C'est là un tableau sombre qui devrait inciter les responsables du secteur du bois à prendre toutes les mesures de prévention technique et médicale susceptibles d'assurer la protection de l'ouvrier et d'améliorer les conditions de travail de ce dernier. Quant à nous consommateurs des produits finis du menuisier, de l'ébéniste, du charpentier et du fabricant de meubles, nous ne devons plus lésiner sur le prix que ces derniers nous proposent en contrepartie de leur labeur, de leur santé et parfois de leur vie !