La Yougoslavie n'existe plus mais elle a toujours une rue. Il n'y a presque pas de noms de femmes ! Le grand penseur Ibn Khaldoun n'a hérité quant à lui que d'une rue étroite, avec des trottoirs exigus et de vieux commerces. Une rue indigne d'un homme de cette envergure… Alors que d'autres penseurs arabes ne figurent que dans des ruelles de second ordre, un comble pour des hommes qui ont contribué à l'épanouissement de la pensée sous nos latitudes En traversant une ruelle située derrière la rue El Jazira, en centre ville, mon attention a été attirée par une plaque portant le nom d'Hannibal, suivie d'une autre ruelle encore plus courte dénommée Amilcar, située du côté du marché central de Tunis. Imaginez le choc : deux des plus grands héros de l'histoire de la Tunisie ont des ruelles minables pour commémorer leur souvenir ! Mais ce n'était qu'un début à bon nombre d'autres aberrations que la municipalité de Tunis continue à cautionner, à avaliser… Etat des lieux d'un univers où l'aberration le dispute à l'incohérence. Les maires se suivent et se ressemblent Le choix de donner le nom d'Hannibal à une ruelle étroite date de l'époque coloniale, lorsque l'occupant français a choisi ce lieu dans le but évident de réduire l'impact que peut avoir un héros de l'envergure de ce grand stratège carthaginois. Cette dénomination lui a été octroyée depuis la fin du 18ème et les choses n'ont pas changé depuis, malgré le passage de nombre de maires tunisiens, à croire que cela ne dérangeait personne… Et puisque la municipalité de Tunis tente depuis quelques semaines de corriger diverses anomalies, comme celle qui consiste à donner des numéros aux rues, au lieu de noms propres de personnalités nationales ou internationales qui se sont illustrées au service de l'humanité, pourquoi ne pas donner le nom de ce héros à l'actuelle avenue de Paris qui se trouve dans le prolongement naturel de l'avenue de Carthage ? Après tout, le nom de la capitale française n'est pas plus important que les grands hommes de la Tunisie. L'une des plus grandes aberrations que nous ayons rencontrées concerne une rue centrale de la capitale. Cette rue porte le nom d'un pays qui a disparu depuis de longues années, disloqué par une guerre fratricide : je veux parler de la rue de Yougoslavie ! Apparemment, personne à la municipalité de Tunis n'est au courant de cette page d'histoire et que ce pays n'existe plus depuis plus de dix ans… Rendre à César… Le grand penseur Ibn Khaldoun n'a hérité quant à lui que d'une rue étroite, avec des trottoirs exigus et de vieux commerces. Une rue indigne d'un homme de cette envergure… Alors que d'autres penseurs arabes ne figurent que dans des ruelles de second ordre, un comble pour des hommes qui ont contribué à l'épanouissement de la pensée sous nos latitudes. Où sont les femmes ? Et puisque nous évoquons de grands hommes, une autre bizarrerie saute aux yeux lorsqu'on scrute les plaques de près : il n'y a presque pas de nom de femmes dans nos rues ! Ni Alyssa, qui a fondé Carthage, ni la Kahena qui l'a dirigée, ni toutes ces femmes de lettres et autres artistes de renom. Seul le nom d'Om Kalthoum orne une rue, près de l'ancien siège de la municipalité. Ni Saliha, ni Oulaya, ni Najia Thameur… Et pour bien comprendre que les noms de rues ont été imposés par le pouvoir colonial, il faut se promener du côté du marché central, où l'on trouve des rues spacieuses qui portent le nom de rue d'Angleterre, d'Espagne, d'Allemagne et plus loin d'Italie. Quant aux pays proches et amis, ils n'ont hérité que de ruelles misérables, courtes, exigües et en tous cas indignes de leur statut actuel. C'est le cas de la rue d'Alger, sinueuse et étroite, en centre ville. Mais c'est surtout le cas de la rue du Maroc et de Tripoli, situées au fin fond de la rue El Jazira. Deux espaces indignes de proches voisins, avec lesquels nous essayons de créer une union solide. Pour des pays frères et amis, on peut mieux faire, sincèrement ! On compte aujourd'hui près de 3400 rues numérotées à Tunis, alors que notre pays regorge de noms illustres. Une anomalie qui résulte de l'expansion rapide de la capitale et qu'il est temps de corriger. Sur instructions du Président Ben Ali, on s'attèle aujourd'hui à remédier à cette situation. Ainsi, les dénominations proposées seront soit des noms célèbres commémorant la mémoire de certains personnages marquants dans divers domaines : littérature, droit, médecine, soit symboliques, tels que des noms de plantes, d'animaux, des lieux... Il serait aussi logique de donner des noms illustres aux grandes artères de la capitale. Bien sûr des voix vont s'élever pour protester contre de tels changements, avec les problèmes que cela pose au niveau du courrier. Sauf que la majorité des Tunisiens n'envoient plus de lettres et utilisent les moyens de communication modernes. Cette opération de nomination nécessite une logistique lourde et un travail méthodique au niveau du choix des thèmes qui doivent être en harmonie avec l'environnement. En outre, les anciennes plaques émaillées qui avaient une durée de vie de près d'un demi-siècle n'existent plus sur le marché et les nouvelles ne durent qu'une dizaine d'années. Et puis pourquoi ne pas prendre l'initiative d'inscrire de petites notes explicatives sur l'origine des noms propres et autres appellations, contribuant ainsi à faire connaître ces personnalités ou ces lieux ? Cela permettrait aux jeunes tunisiens et aux visiteurs de mieux connaître notre histoire et notre patrimoine…