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Samir Allal: Démocratie et transition écologique le risque de «backlash»
Publié dans Leaders le 31 - 08 - 2024

Alors que notre époque est marquée par l'urgence climatique, la Transition Energétique et Ecologique (TEE) peine à s'enclencher. Il existe bien d'autres urgences économiques et sociales, bien d'autres attentes et préoccupations.
La Transition Energétique et Ecologique est de plus en plus dénoncée comme une menace. Ou encore, «le réchauffement climatique est un complot visant à réduire les libertés et à nous assommer de taxes». Laurent Testot (Juin 2024)
Ces discours évoquent une forme de psychose, délibérément encouragée par les lobbys du carbone. Leur pensée fait système. Ils la nourrissent méthodiquement de morceaux de rhétorique proposés par des algorithmes au fil des réseaux sociaux, de l'écoute de certains médias, du partage entre pairs.
Même simplistes, de tels récits exercent des effets réels et potentiellement dangereux, au point d'inhiber l'action politique ou de changer le cours d'une élection.
Face à la montée du populisme dans le monde, les modèles de transition sont fustigés comme à la fois «irréalistes dans leur trajectoire» et «inefficace» quant aux moyens utilisés (normes et taxes, schématiquement, plutôt que subventions).
Avant la crise, les termes du débat étaient centrés sur le rythme de la transition. Mais le chaos qui s'est installé depuis la guerre en Ukraine et le retour du conflit au moyen orient, fait craindre un risque de retour en arrière (de «backlash»).
Tendance que ne manquera pas d'encourager les récents succès électoraux de la droite populiste en Italie, en Suède, en France ou aux Pays-Bas (Nguyen, 2024) et le retour de Donald Trump aux affaires.
Ce qui procède d'un grave contresens car, dans un pays qui dépend le plus des importations pour ses usages des fossiles, réduire le rythme de la décarbonation revient à se condamner à rester sous la menace de choc de prix, combinée à des risques de pénurie. Chocs qui, sans plus de marges de manœuvres budgétaires pour contrer les effets macroéconomiques à court terme, pousseraient les pays vulnérables vers une terra incognita.
La transition écologique est anxiogène, entend-on dire. Non ce qui est anxiogène, c'est le silence ou le déni. Mettre des mots sur ce qui nous arrive, en la matière comme ailleurs c'est toujours une bonne chose. Face aux risques de «backlash», faut se rappeler que l'inaction a un coût.
Nous aimons qu'on nous raconte des histoires, et ce depuis toujours. Ce qui est inédit, avec le changement climatique qui est devenu le nôtre, c'est l'ampleur prise par la thématique des récits. Toute instance de décision, toute personnalité politique, tout Etat est sommé de produire un ou plusieurs récits, qui ont vocation à défendre son programme, à définir sa nature et à légitimer son action.
Dès lors, le storytelling s'est imposé comme l'arme suprême des nouveaux rapports de force géopolitiques. Cette nouvelle guerre des récits, crée de l'incertitude macroéconomique, et ajoute de la complexité au cahier des charges de la transition. Elle fait peser une incertitude sur la soutenabilité de son financement dans un contexte de forte montée des dettes publiques.
Avec le Capitalocène, le vieux monde néolibéral refuse de mourir, l'idée d'en construire un autre apparaît. Mais lequel? Là débutent les difficultés.
La transition peine à s'enclencher dans un monde fluctuant et imprévisible: désormais, l'incertitude et les turbulences constituent la nouvelle norme
La lutte contre le changement climatique doit impérativement produire des effets à un horizon bien plus court qu'imaginé dans les années précédentes, tandis que la succession de crises (sanitaire et surtout énergétique) s'ouvre sur un paysage peu propice à l'action et à l'esprit de coopération.
La crise énergétique issue de la guerre en Ukraine a porté la facture des approvisionnements énergétiques un niveau avoisinant celui du second choc pétrolier et a freiné les politiques de décarbonation. (Sgaravatti et al., 2023). Le conflit au moyen orient, a remis au premier plan les problématiques de sécurité d'approvisionnement en hydrocarbures «que l'on pensait sous contrôle». Patrice Geoffron, Ed Eska 2024).
Force est de constater que la scène énergétique est dominée par l'affrontement, voire le chaos, assez loin de «l'esprit de la COP de Paris». De COP en COP, la gouvernance climatique mondiale balbutie, ne facilitent ni le rebond macroéconomique ni la Transition Energétique et Ecologique.
L'intégration des risques liés au climat pose des problèmes inédits en raison de «l'incertitude radicale associée à un phénomène physique, social et économique en constante évolution et impliquant des dynamiques et des réactions en chaine complexes» (Bolton et al. 2020).
Face à l'urgence, des actions immédiates sont nécessaires. Dans une économie, tournée vers – et tirée par – la consommation, les pratiques quotidiennes sont au cœur des politiques de transition, mais pas seulement.
La fenêtre du +1,5 °C reste «entrebâillée», à la condition d'engagements financiers rapides et massifs et une révision profonde du calcul économique en prenant en compte toute la palette des bénéfices qui peuvent être tirés de l'action climatique, qui réduit à la fois les externalités globales, tout en présentant des effets locaux puissants qui contrebalancent largement les coûts directs des politiques publiques de décarbonation.
Conséquence de ces chocs, la confusion règne, y compris jusqu'à considérer que «l'urgence n'est plus à la lutte contre le changement climatique, dont il faudrait ralentir le rythme». Or, ces crises multiples sont intimement liées au modèle néo-libéral et thermo-industriel.
L'urgence et la prégnance du court terme conduisent trop souvent à aller contre les impératifs à long terme, collectivement affirmés, de la transition. Nous faisons l'expérience de ce que Mark Carney, l'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, a judicieusement appelé la «tragédie des horizons».
Dans un monde imprévisible et incertain, tout système fondé sur la performance semble être un colosse aux pieds d'argiles, prêt à s'effondrer. La focalisation excessive sur les mesures techniques empêche de prendre à bras-le-corps le véritable défi, celui de revoir et de redéfinir le contrat social et écologique. Suivre une approche technocratique mène à l'impasse.
La performance définie comme la somme entre l'efficacité (atteinte d'un objectif) et de l'efficience (avec le moins de moyens possibles) fait appel à des critères (optimisation des ressources, rendement) capable de se déployer dans un contexte stable d'abondance des ressources, se révèlent tout à fait inopérants dans un contexte de turbulence et de pénurie.
Menée à son paroxysme, la performance est vouée à l'autodestruction. Elle ne peut être qu'un état transitoire, car en mettant en tension les ressources, on risque de faire imploser l'écosystème.
Ainsi, pour préserver nos chances de survie à long terme, Olivier Hamant, président de l'Institut Michel Serre, propose «de changer de stratégie en organisant un système robuste, construit comme un contre-modèle de performance, dont l'objectif est de lutter contre les inégalités et de garantir la santé de l'écosystème en faisant appel à des principes d'hétérogénéité, diversification, lenteur, circularité, coopération, capables de générer des marges de manœuvre, donc de s'adapter en cas de turbulences».
Dans un tel modèle fondé sur la robustesse, la notion de performance n'est utilisée que comme un outil capable de régler un danger imminent. C'est un instrument dédié à l'action urgente. Olivier Hamant ouvre des perspectives absolument enthousiasmantes pour la transition écologique.
Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a levé, si nécessaire, toute ambiguïté sur l'ampleur et l'urgence des efforts à entreprendre, dans cette décennie: «Pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous devons diminuer les émissions dès aujourd'hui et les réduire de près de 50% d'ici à 2030».
Une autre manière d'appréhender ce défi est de souligner que, en 2050, les émissions devront être revenues au même niveau qu'en 1950, mais avec une population mondiale quatre fois plus élevée qu'alors. Et cela en rappelant que, actuellement, les combustibles fossiles représentent 80 % du bouquet énergétique mondial, proportion particulièrement stable depuis des décennies.
Adopter une perspective historique permet de comprendre la singularité des enjeux de la transition dite «bas carbone», dès lors que, depuis deux siècles, un processus «d'addition» plutôt que de «substitution» est à l'œuvre entre les filières énergétiques.
Un enjeu clé tient à la possibilité des pays où l'accès à l'énergie est le moins avancé de fonder leur développement sur des technologies décarbonées ou bien les condamner au modèle historique qui combine charbon-pétrole-gaz.
L'écologisation de la démocratie exige au préalable une mue profonde: agir sur les conditions de vie, sur les structures économiques et sur la justice sociale
La montée en puissance des inégalités - rend difficile l'écologisation des économies. Tant qu'ils resteront pris dans le carcan du libre marchés, les écogestes des consommateurs se révéleront impuissants. Pour réduire l'impact écologique des activités humaines, il faut transformer les structures économiques.
Pas de sobriété possible, quand les écarts de revenus atteignent des excès, avec une forme de séparatisme des plus riches, laquelle rend impossible l'intérêt général. Précisons que l'empreinte écologique des individus est proportionnelle à leur niveau de revenus.
La nécessaire transition écologique, à rebours du modèle productiviste qui a favorisé la croissance des sociétés occidentales, la persistance des inégalités sociales, source de contestation, le danger du populisme , s'attaquant aux valeurs fondatrices des Etats de droit, ou encore l'incroyable développement des technologies, rendant nécessaire un encadrement des pratiques (IA, surveillance, collecte des données...), sont autant de menaces pour une transition écologique juste et de bouleversements auxquels les démocraties des pays émergents sont confrontées.
Après des décennies de fantasmes néolibéraux sur les vertus régulatrices du marché, les gouvernants reparlent aujourd'hui: de «limite planétaire» et de «planification» face à l'urgence climatique fondée sur la décroissance dans l'exploitation de la nature et de justice environnementale.
Nous n'avons plus le droit, au nom de la préférence pour le présent, de sacrifier les générations futures. Il serait suicidaire de baisser les bras et d'accepter une dégradation des objectifs. Il nous faut pour cela, restaurer la confiance entre les dirigeants, l'entreprise et les citoyens pour s'adapter, aux changements climatiques, et répondre à l'attente d'une plus grande participation des citoyens aux décisions politiques. Face à la montée du populisme et des extrémismes, l'enjeu est de taille.
Le déploiement maitrisé des outils numériques, des techniques comptables novatrices et l'approfondissement des institutions de la délibération collective peuvent donner lieu à un gouvernement de la production par les besoins.
L'Agence Internationale de l'Energie (AIE), montre les pistes qui devraient inspirer désormais les politiques publiques. Ils sont en particulier fondés, dans leurs contributions récentes, à insister sur l'impératif de sobriété, valable du côté de l'offre comme de la demande de biens et services et d'applicabilité quasi générale.
La transition énergétique et écologique nécessite, une approche politique et participative, seule à même d'affronter les aspirations divergentes au sein de la société et de conclure des accords mutuellement avantageux.
La formulation de récits autour de l'écologie joue sans aucun doute un rôle essentiel dans l'aiguillage des débats publics et dans la légitimation de l'action gouvernementale. Mais, sans minimiser l'intérêt politique des récits, les évolutions complexes et contradictoires posent la question des moyens nécessaires à la transition. Philippe Coulangeon et al (AOC 2024).
Est-ce d'un nouveau récit que les acteurs ont le plus besoin pour mieux affronter la crise énergétique et écologique ? Les dynamiques sociales relatives aux pratiques alimentaires, d'équipement, de mobilité et aux gestes domestiques suggèrent une stratégie alternative: pour changer les pratiques, il faut d'abord agir sur les conditions – sociales, économiques, infrastructurelles, légales et culturelles – qui structurent ces pratiques.
À qui appartient-il d'agir? La responsabilisation des citoyens a longtemps été au cœur du discours et des politiques menées par les pouvoirs publics et les entreprises. Si les individus et leurs ménages génèrent, par leur mode de vie et leurs habitudes de consommation, une part majeure des dégradations environnementales, la responsabilité qui nous incombe en tant qu' «écocitoyen» doit être nuancée par l'étroitesse des marges de manœuvre dont nous disposons pour agir par la consommation.
Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l'horizon 2050, il est nécessaire de réduire les émissions de 80 % par rapport à leur niveau actuel. L'adoption des comportements les plus vertueux par les individus et leurs ménages ne permettrait, de manière réaliste, de diminuer les émissions aux lieux que de 20 % soit un quart de la cible affichée.
Mais les trois quarts des réductions nécessaires reviennent aux entreprises et l'Etat, qui doivent engager des transformations systémiques, en décarbonant l'industrie, l'agriculture, le fret de marchandises, les services publics, et l'énergie.
Et réussir cette transition, il convient donc, de réduire drastiquement le volume de nos activités, c'est-à-dire de baisser collectivement la hauteur de nos flux d'énergie et de matière. Cela signifie produire moins d'objets et aménager moins d'infrastructures.
Ce n'est pas tout. Non seulement nous produisons trop, mais notre manière de produire semble elle-même inassimilable par la nature. Il faudrait extraire, produire et rejeter très sensiblement moins, en modifiant jusqu'à la manière de fabriquer; sans compter d'autres aspects fondamentaux touchant aux relations homme-nature, et aux valeurs. Facile à dire, pas si facile que cela à mettre en œuvre!
Peut-on attendre des ménages dont l'empreinte environnementale est déjà faible une conversion écologique aussi profonde et radicale que pour des ménages plus aisés qui contribuent de manière disproportionnée aux dégradations environnementales et climatiques à l'œuvre?
Tout récit universalisant – autour de la responsabilité de tous et de chacun – se heurtera inévitablement aux inégalités écologiques déjà à l'œuvre. Inversement, agir sur les conditions de vie permettra d'ancrer la politique environnementale dans le cadre plus large d'une politique sociale – et de rendre possible, acceptable et désirable, une transition juste des modes de vie.
Dans un monde idéal, il faut tenir les deux bouts, celui du récit et celui des structures. Car l'absence d'adéquation entre les représentations et les conditions de vie expérimentées par les individus et génératrices de pratiques encore peu sobres produit inévitablement des contradictions, des frustrations et des résistances.
Pour se rapprocher de cet idéal, les citoyens ont besoin que les pouvoirs publics prennent la part de responsabilité qui leur incombe et agissent directement pour une société à la fois plus juste pour les personnes et plus respectueuse de l'environnement. Philippe Coulangeon et al (AOC 2024).
Les citoyens-consommateurs sont-ils prêts à accepter ces changements, aussi progressifs soient-ils ? Pour l'heure, d'évidence non. Certaines minorités sont liées à des intérêts économiques forts et opposés, et une grande majorité reste très attachée au consumérisme, leurs consommations matérielles croissantes en étant la preuve.
Démocratie et écologie sont-elles pour autant définitivement incompatibles? Non
Ce changement d'approche souhaité vise à élaborer «un nouveau contrat écologique» avec l'ensemble des acteurs. C'est un nouveau paradigme et un compromis de société qui décloisonne les questions sociales, économiques et écologiques, sans nier les difficultés. Des divergences et des débats persistent sur des questions essentielles:
• Le réalisme et la crédibilité ou non des objectifs fixés,
• Le rythme et les voies et moyens de cette transition,
• La pondération souhaitable entre les deux grandes stratégies que sont l'atténuation et l'adaptation face au changement climatique,
• Les financements à mobiliser dans chaque pays,
• Le délicat équilibre entre les contraintes et les incitations pour pousser tous les opérateurs, y compris bien sûr les entreprises, mais aussi les consommateurs dans la direction souhaitée.
Le refus du «radicalisme» écologique, quand ce n'est de l'écologie tout court, est même désormais un marqueur politique important. Partout dans le monde, la démocratie représentative est en crise. Le populisme et l'illibéralisme gagnent, quand ils ne sont pas déjà au pouvoir.
Le populisme est un phénomène complexe qui peut englober l'illibéralisme. Pour Joëlle Zask et Dominique Bourg : «le populisme se caractérise par la personnalité de ses leaders, laquelle n'est favorable ni à une lecture sérieuse du monde, ni a fortiori à un référentiel intellectuel solide(…)».
Cet état de choses n'est guère propice à la prise en compte des questions écologiques, lesquelles exigent pour leur compréhension un arrière-plan scientifique minimal. Une compréhension de l'état du monde que rend aussi impossible la fragmentation du paysage de l'information qui caractérise désormais nos sociétés avec la multiplication des canaux d'information, parmi lesquels figurent les réseaux sociaux.
Qu'est-ce qui pourrait alors, nous pousser à dépasser cette situation et à agir à la hauteur de ces défis ? Je crains que ce ne soient l'affaiblissement progressif, déjà en cours, de nos capacités de production alimentaire, la récurrence des phénomènes climatiques extrêmes, au premier chef des canicules et des inondations affectant progressivement la possibilité d'assurer de nombreux biens.
Un autre phénomène concomitant s'y ajoute : la montée en puissance des vagues migratoires due à la récurrence et à l'intensité des événements extrêmes, et en premier lieu des vagues de chaleur sèche ou humide.
Ce sont déjà 35% de la population mondiale qui sont convaincus d'être contraints de déménager d'ici à dix ans à cause du changement climatique. Dans les prochaines décennies, ce sont aussi de vastes zones intertropicales qui devraient devenir Inhabitables.
A quand la désertification en méditerranée déjà en cours et annoncée par les modèles? À quand la destruction par le feu des actuelles forêts asséchées, compte tenu d'un climat devenu par trop chaud et trop sec? A quand la prochaine grande crise de l'eau?
En dépit de ce constat alarmant, il n'est aucune incompatibilité définitive entre écologie et démocratie. Les dégradations infligées à la biosphère imposent un changement radical de paradigme quant à l'objectif antérieur de maximisation de la production de richesses matérielles. Pas de sobriété sans une réduction préalable des écarts de richesse.
Rien n'interdit, sur le plan des principes, la construction d'un nouveau consensus en creux, bâti sur une orientation nouvelle donnée au dynamisme des sociétés : non plus la maximisation de la richesse produite, mais la construction de modes d'organisation, de modèles d'échange et de consommation, de modes de vie, au sens le plus large possible, visant une insertion harmonieuse des activités humaines au sein du système Terre.
Nous avons perdu les premières batailles du climat et de la biodiversité. L'avenir nous dira si nous parviendrons à remporter les combats suivants, et ce au sein de démocraties refondées.
Pr Samir Allal
Université de Versailles Paris-Saclay
Nb : Ce texte est une communication présentée lors 12éme colloque international sur les défis du changement climatique, organisé à Hammamet par le professeur Sami Aouadi du laboratoire PS2D


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