Le second tour de la campagne présidentielle a commencé il y a trois jours. De part et d'autre, l'on s'affaire. Et l'on organise le ban et l'arrière-ban en vue du scrutin décisif du 21 décembre. Ou plutôt l'on est supposé agir ainsi. Parce que les protagonistes s'abîment dans des exercices contorsionnistes où l'on fait peur à souhait, on diabolise l'autre à loisir et on floue l'opinion à l'emporte-pièce Le président sortant Moncef Marzouki tient le haut du pavé dans ce concert sinistre. A l'entendre, il gagne ou il gagne (slogan de campagne du premier tour). Comme il l'a déclaré publiquement avant-hier, s'il ne gagne pas, c'est que les résultats auront été truqués ! Il le sait d'avance, le présume avec insistance et force conviction même. Il semble mû par une approche obsessionnelle, cédant volontiers au syndrome de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire. Nous l'écrivions sur ces mêmes pages le 24 novembre dernier, au lendemain immédiat du premier tour de l'élection présidentielle, dans un article intitulé précisément «La Tunisie l'emporte, évitons le scénario ivoirien». Il y est écrit entre autres : «Les élections ne valent qu'à partir du moment où elles en imposent à tous. Il faut être bon joueur et s'abstenir, dans tous les cas de figure, de camper le mauvais perdant. Ces dernières semaines, les esprits se sont échauffés outre mesure. Les campagnes électorales successives y sont pour quelque chose. Mais certaines voix et fausses notes font craindre le pire. On ne saurait, sous quelque prétexte que ce soit, s'inscrire en porte-à-faux de la voix souveraine des urnes...Il ne faut surtout pas oublier le douloureux épisode de l'élection présidentielle de Côte d'Ivoire en 2010. Comparaissant aujourd'hui devant la Cour pénale internationale (CPI), Laurent Gbagbo est accusé d'avoir fomenté une campagne de violences dans le but de conserver le pouvoir à l'issue de l'élection présidentielle de novembre 2010, dont il avait refusé les résultats on ne peut plus évidents. Plus de 3.000 personnes avaient été tuées durant les cinq mois de violences. Au bout du compte, Gbagbo est perdant dans son pays, devant le CPI et surtout devant le grand tribunal de l'Histoire». Les signes de la communication non verbale ne détrompent point. Moncef Marzouki cède aux pulsions des chefs de sectes traquées. Le candidat-président semble avoir attrapé la fièvre obsidionale. Dans l'Antiquité, c'était un délire général qui s'emparait de la population d'une ville assiégée. La présidence de la République agit aujourd'hui à l'instar d'une ville assiégée. Avec tous les fâcheux revers et excroissances perverties que cela pourrait générer. Parce que les obsessions politiques virent toujours au cauchemar. S'il ne donne pas dans la folie obsidionale, le candidat d'en face ne fait guère dans la dentelle, lui non plus. Ses partisans privilégient la dérision cruelle. Mahmoud Baroudi l'a bien illustré hier. A l'entendre, Nida Tounès a décidé de renvoyer au président Moncef Marzouki, par voie postale, la totalité de l'argent attribué à Ali Ben Salem durant deux ans. Un bref rappel des faits s'impose. Ayant constaté l'état d'indigence du doyen des militants tunisiens, le président Marzouki avait décidé de lui allouer une rente mensuelle de cinq cents dinars. Sitôt qu'il a appris qu'Ali Ben Salem avait adhéré à Nida Tounès, Moncef Marzouki l'a privé de cette rente, sans appel. La manœuvre du parti du candidat Béji Caïd Essebsi est savamment orchestrée. Elle enfonce le clou en mettant en avant la cupidité, les calculs étroits et sordides et le clientélisme de Moncef Marzouki. Autant de griefs réitérés autrefois à tour de bras par Moncef Marzouki contre Ben Ali. Çà et là des événements navrants attestent que le débat dérape. Loin de s'inscrire autour des enjeux, des valeurs et de la personnalité des candidats en compétition, il se fourvoie dans les manœuvres dilatoires des uns et des autres. La suggestion, le trompe-l'œil sévissent. La vérité en pâtit. En somme, nous sommes en présence d'une campagne douteuse dans une atmosphère viciée. Encore une fois, si la Tunisie l'emporte, la classe politique n'en finit pas de sombrer.