Prévu pour le 28 mai, le démarrage du dialogue national économique semble pour l'instant bloqué au niveau des commissions préparatoires. Outre la pertinence des thèmes à discuter, c'est la question de la représentation à ce dialogue qui pose, particulièrement, problème Alors que le chef du gouvernement provisoire, Mehdi Jomâa, évoquera aujourd'hui selon toute vaisemblance, à l'occasion des 100 jours, la question du dialogue national sur l'économie, plusieurs parties prenantes au processus émettent des réserves quant à l'opportunité d'un tel débat. Elles menacent de bouder un dialogue qui, selon elles, n'aborde pas les vrais sujets. Pendant ce temps, le gouvernement est pressé par l'urgence de la situation. Cloué par la feuille de route selon laquelle il est tenu de préparer les prochaines élections, mais également par le fait qu'il ne peut pas ignorer les recommandations, notamment des institutions financières et monétaires internationales, dont le soutien est nécessaire. A la présidence du gouvernement, on ne veut pas commenter le sujet. «Nidhal Ouerfelli, ministre délégué chargé de la Coordination et des Affaires économiques, ne fera aucune déclaration à ce sujet avant le discours de M.Mehdi Jomâa», nous a-t-on répondu au Premier ministère. C'est que le congrès du Dialogue national sur l'économie, prévu le 28 mai, risque d'être repoussé en raison des divergences de points de vue sur son contenu et les thèmes abordés. «C'est complètement absurde de reporter une échéance aussi cruciale pour la Tunisie, réplique Khelil Gheriani, membre du Bureau exécutif de l'Utica. Nous sommes déjà suffisamment en retard». Un véritable climat de suspicion règne autour de ce Dialogue national sur l'économie. Le Front populaire menace d'officialiser son retrait définitif, dans les jours qui viennent : «Nous ne voulons pas servir de couverture à ce gouvernement pour qu'il fasse passer des mesures aussi impopulaires qu'injustes», explique Jilani Hammami, dirigeant au sein du Front populaire. Pour le Front, le gouvernement a d'ores et déjà pris ses décisions. «Des décisions venues des bailleurs de fonds internationaux, que Mehdi Jomâa chercherait à faire entériner par l'ensemble de la classe politique». Les points d'achoppement En tête des axes qui suscitent la méfiance, la question des subventions, la privatisation des entreprises publiques ou encore la question de la propriété des terres domaniales. «La partie gouvernementale débarque dans les commissions avec des chiffres supposés nous convaincre de la nécessité de supprimer les subventions parce qu'elles ne vont pas aux classes ciblées et de privatiser les entreprises publiques, car elles manquent de compétitivité», résume Jilani Hammami. Du côté de l'Ugtt, même son de cloche. Sami Tahri est on ne peut plus clair: «Le gouvernement a tenu à préparer le congrès seul, en l'absence de l'Ugtt et en excluant les experts économiques et certains partis politiques». Même si la liste des questions débattues dans les commissions est importante, l'Ugtt et plusieurs partis déplorent que la problématique de l'évasion fiscale et celle de la dette publique soient zappées. «Je ne comprends pas que ce gouvernement soit provisoire? Il ne peut donc pas traiter de la question fiscale, il y a des thèmes beaucoup plus urgents», rétorque Khalil Gheriani. Celui-ci, qui critique les menaces de retrait, ne voit aucune tentative de manipulation de la part du gouvernement. «S'asseoir autour d'une table pour discuter ne veut pas dire qu'on est d'accord», lâche-t-il. Pour l'Utica, «ce rendez-vous doit aborder les thèmes liés à la reprise de l'économie, à savoir la subvention de l'énergie et des produits de base, le pouvoir d'achat du citoyen, la compétitivité et la productivité des secteurs public et privé, le déficit commercial et la contrebande». C'est justement là où les divergences sont plus profondes et deviennent parfois idéologiques. Comment relancer l'économie? En favorisant le monde des entreprises et en optant pour plus de libéralisation? Ou en relançant la consommation des classes moyennes? «Le problème, c'est qu'aucun diagnostic clair n'a été fait de la situation économique du pays, et on veut passer directement aux solutions, explique l'économiste Abdeljalil Bedoui. Rien ne nous permet de dire que les avantages fiscaux qu'on accorde par exemple aux entreprises, permettent de gagner des points de croissance ou de résorber le chômage. Au contraire, nous constatons que le nombre des chômeurs est toujours aussi important». Jomâa lèvera-t-il les équivoques? Une chose est sûre, l'Etat cherche de l'argent pour financer son budget. La question est où est-ce qu'on va aller le chercher? «Qu'il s'agisse de réduire les coûts de la Caisse de compensation ou réformer le système des retraites, le gouvernement, poussé par le FMI et la Banque mondiale, cherche à faire payer les classes moyennes et les pauvres», assène Abdeljalil Bedoui. Il pense, comme d'autres, qu'il est possible de chercher les fonds ailleurs que dans la poche du citoyen. «Nous pourrions faire autrement, nous pourrions réduire l'évasion fiscale, réviser les avantages fiscaux accordés aux investisseurs ou encore réviser les clauses des contrats avec les sociétés qui exploitent nos richesses de gaz ou même de sel», estime l'économiste. Il appelle aussi à instaurer une taxe touristique. Des touristes qui profitent indirectement des produits de base compensés. La conférence de presse de Mehdi Jomâa aujourd'hui pourrait lever certaines équivoques, mais pour l'heure le dialogue national sur l'économie n'est pas bien parti.