Par Abdelhamid GMATI Les touristes semblent de plus en plus bouder la Tunisie. Certes, 439.708 visiteurs sont venus entre le 1er janvier et le 20 février 2013, mais ce chiffre correspond à une baisse de 20,4% par rapport à 2010 et de 7,7% par rapport à 2012. Les réservations ont baissé de près de 25% et on annonce des annulations de réservations en grand nombre. Hôteliers, agents de voyages et professionnels du tourisme dressent un tableau alarmant de la situation du tourisme. De son côté, l'Association des économistes tunisiens a publié un communiqué pour «attirer l'attention sur la gravité de la situation économique et sociale et des finances publiques qui prévaut en Tunisie». L'association relève que «le chômage a augmenté sensiblement, le coût de la vie, surtout les produits de consommation de base, s'est envolé, l'insécurité et la violence, phénomènes étrangers à la société tunisienne, se sont répandues et les services publics sont en nette détérioration». On note également le recul des investissements et des exportations et la notation du pays qui a été dégradée 3 fois en moins de 14 mois. Cette inquiétude de la situation alarmante de l'économie est partagée par la présidente de l'Utica qui estime se trouver actuellement «dans l'incapacité de rassurer les investisseurs étrangers et de leur lancer un message d'apaisement», avertissant en même temps de l'intention de plusieurs sociétés étrangères de quitter le territoire tunisien. On relèvera que ces cris d'alarme sont lancés par des organisations professionnelles et par quelques représentants de la société civile. Les différentes grèves dans toutes les régions, les revendications répétées des citoyens attestent de ce malaise profond. Du côté de la classe politique, pourtant pointée du doigt comme responsable de cette situation, c'est le silence. Un silence assourdissant. Certes, on parle, on parle; on parle même beaucoup. Gouvernants et opposants défilent sur les plateaux de télévision, dans les studios de radio, sur les colonnes des journaux et des sites électroniques mais ils gardent le silence sur les vrais problèmes du pays. Ils s'emploient à accuser les autres à se dénigrer mutuellement et même à s'insulter. Leur seule préoccupation semble être le maintien ou l'accès au pouvoir. La désignation d'un nouveau Premier ministre, objet de controverse, et la constitution d'un nouveau gouvernement n'ont, semble-t-il, pas désamorcé la crise. Le mouvement islamiste au pouvoir fait tout pour consolider sa position et agit en part unique, aidé en cela par des groupuscules avides de sièges gouvernementaux et de privilèges. Les partis opposants participent aux discussions, sont associés aux négociations, mais ils ne sont préoccupés que par leurs conditions à faire partie du prochain gouvernement. Silence sur le reste. On ne semble pas s'intéresser à ce qui se trame à l'ANC où l'on prépare à faire adopter des textes fondamentaux très controversés et ne correspondant pas aux exigences d'une démocratie souhaitée par tous, garantissant les libertés fondamentales et universelles telles qu'exigées par la révolution. Une autre dictature se met en place, mais silence, car il y aurait danger et menace d'être exclu du pouvoir. L'un des mérites de cette révolution a été de révéler le peuple tunisien à lui-même. Un bon peuple de citoyens lambda qui s'est rendu compte qu'il pouvait prendre son destin en main et s'exprimer. Il l'a fait à plusieurs reprises, pacifiquement, même malgré des répressions violentes. Il l'a fait en masse lors des obsèques du martyr Chokri Belaïd. Il l'a refait samedi dernier pour exiger l'identification et l'arrestation des auteurs du crime et de leurs commanditaires. Il le refera encore. Pourtant, beaucoup parmi les gouvernants et les opposants ne l'ont pas entendu, ni compris. Car beaucoup parlent, parlent, parlent...Des députés, pourtant supposés traduire les désirs et les convictions du peuple (c'est, du moins, ce qu'ils prétendent), tiennent des propos... hors de propos. Ils n'évoquent pas les problèmes du pays mais s'attellent à des futilités. L'un appelle au jihad, un autre veut couper les mains de ceux qui critiquent son mouvement, une autre s'en prend à une personnalité plus honorable, plus populaire et plus représentative qu'elle, une autre veut continuer à faire rire la galerie; un ministre fait sa propre propagande avec des chiffres fantaisistes, un autre est souvent pris en flagrant délit de mensonge, un autre pourtant chargé des affaires étrangères rebaptise son homologue français le transformant en «Alain» alors que le monsieur s'appelle «Laurent»; un chef de mouvement s'en prend gratuitement à un pays proche partenaire du nôtre, risquant de détériorer nos relations. Et il y en a. On se demande s'ils ne le font pas délibérément, histoire d'être présents. A tous ceux qui parlent pour ne rien dire, on est tenté de leur dire : «Silence, danger». Pour leur bien et celui du pays.