On voudrait tant pouvoir se débarrasser du marasme. La place politique est devenue contraignante. On y étouffe. On se sent à l'étroit. Cela empeste la moisissure. Pourtant, on est supposé être toujours dans le registre du nouveau. Côté gouvernants s'entend. Le remaniement ministériel ajourné à maintes reprises est devenu obsessionnel. Il cause davantage de dégâts qu'il ne soulage la donne. A force de traîner en longueur, il a fini par virer à l'abcès de fixation. Comme dans ces vieux couples déchirés où la moindre saute d'humeur fait ressurgir des rancœurs accumulées des décennies durant. Dernier coup de théâtre, les révélations faites par M. Abdellatif Abid, ministre de l'Education. Il nous confiait dimanche dernier qu'il en a pour ses frais, faisant l'objet d'une cabale ourdie à son encontre par des partisans du mouvement Ennahdha. Pourtant, c'est une figure de proue du parti Ettakatol, sociétaire d'Ennahdha et du CPR dans la Troïka gouvernante. N'empêche. Abdellatif Abid a visiblement mal digéré l'annonce prématurée de son futur limogeage. Parce qu'il est toujours ministre de l'Education. En sursis. Il y a quelques jours, M. Mohamed Goumani, dirigeant de l'Alliance démocratique, annonçait publiquement qu'il sera le prochain ministre de l'Education. Ennahdha lui a proposé le portefeuille et il y a consenti. Modus vivendi cavalier de changement d'écurie. Abdellatif Abid a appris son limogeage imminent via les médias. Il en ressent comme une profonde blessure. Qui frise l'humiliation publique. Alors il ne se maîtrise plus. Lui réputé pour sa réserve et sa promptitude aux dérobades face aux questions insistantes des journalistes. Il a fait les mêmes révélations meurtries à nos confrères de l'hebdomadaire Akher Khabar. La fonction crée l'organe, les sentiments bafoués façonnent le profil amer. Aux dires du ministre de l'Education, il est visé en personne. Parce que, à l'en croire, il serait coupable de ne s'être pas plié aux injonctions et caprices de certains parmi ses alliés d'Ennahdha. Ses griefs sont multiples. D'abord, confie-t-il, un vieux dirigeant pur et dur d'Ennahdha rapplique dans son bureau une poignée de jours après sa nomination à la tête de son département. Il voudrait faire embaucher quelque personne de ses proches «qui ne répond pas aux critères d'ancienneté notamment». Le ministre refuse. Le haut dirigeant pur et dur «a mal pris la chose, considérant qu'elle était dirigée contre lui personnellement. J'en fais depuis de bien amers constats» confie M. Abid. Et de ressasser d'autres motifs de sa disgrâce subite : il a refusé l'adoption du système d'enseignement zeitounien parallèle, interdit le port du niqab dans les différentes phases de l'enseignement et interdit aux groupes et associations salafistes d'utiliser les écoles et les espaces éducatifs. Cela aurait suscité le courroux de certains alliés nahdhaouis, dont des membres élus à l'Assemblée constituante. Ce disant, le ministre de l'Education lance une véritable bombe. Selon lui, le degré de satisfaction du travail des ministres dépendrait de considérations extraprofessionnelles, partisanes et sectaires. Ce qui en dit long sur certaines motivations du remaniement ministériel escompté. Aux dernières nouvelles, le parti Ettakatol voudrait bien maintenir son ministre dans l'équipe gouvernementale. Il y est toujours en fait. Contactés, des dirigeants d'Ennahdha n'ont guère voulu commenter les propos de M. Abdellatif Abid. D'autres, d'Ettakatol, les ont en revanche confirmés. Décidément, les dégâts réels du remaniement virtuel semblent plus que patents. D'ici son achèvement, des torrents d'eau auront coulé sous les ponts de la discorde.