«La femme tunisienne jouit depuis une cinquantaine d'années de toutes les libertés, il faudrait qu'elle comprenne maintenant qu'il y a des limites» ou encore «l'égalité entre les hommes et les femmes n'est que la demande d'une poignée de gauchistes», voilà une des réflexions des plus entendues lors d'un forum sur la participation de la femme à la vie politique et publique, organisé hier à Tunis par l'Institut de presse et des sciences de l'information, en collaboration avec l'Institut arabe des droits de l'Homme. Voilà donc où en est le débat sur la question féminine après deux années de révolution et plus de cinquante années d'indépendance. Toutefois, les interventions de grandes dames à l'image de Naziha Rjiba (plus connue sous le pseudonyme de Oum Zied) et Salsabil Kelibi lors de ce forum ont réconforté les présents et donné des notes d'espoir qui ne sauraient être perturbées par quelques réflexions grossières (mais qui ne devraient pas être passées sous silence) Le juge comme protecteur naturel des droits et des libertés Au-delà des textes juridiques, Salsabil Kelibi, professeur de droit, pense que le rôle des juges dans le renforcement des droits et des libertés est primordial et que, sans cela, les textes resteront lettre morte ou bien, dans le meilleur des cas, seront interprétés de façon à retreindre les droits et les libertés. «C'est le juge qui donne vie aux textes juridique», résume merveilleusement bien cette universitaire. L'intervenante préconise l'ajout, dans l'énumération des droits et des libertés dans un texte juridique, côte à côte, des termes «pour chaque citoyen et citoyenne». «Nous pourrons ainsi éviter toute équivoque qui laisserait la porte ouverte aux abus d'interprétation quant aux droits politiques et économiques des femmes», ajoute-t-elle. D'autre part, le professeur fustige l'entêtement des rédacteurs de la constitution à renier l'universalité des droits de l'Homme présentés à tort comme étant en contradiction avec l'Islam. Véritable fer de lance des mouvements féministes, le Code du statut personnel semble être pour cette universitaire un minima sur lequel les défenseurs des droits des femmes devraient bâtir des aspirations très progressistes. Invitée lors de ce forum, Néziha Rejiba, grande figure de la lutte contre la dictature de Ben Ali, explique que pendant les années de résistance face au régime, «le pouvoir distribuait équitablement les coups aux hommes et aux femmes». «En m'engageant dans la politique dans les années 80, je ne pensais pas à ma condition de femme, je pensais simplement qu'il était de ma responsabilité d'agir en tant que citoyenne», explique-t-elle. Voici peut-être le secret de la réussite d'Oum Zied, agir par responsabilité, mais également par amour, même si certains diront qu'amour et politique ne font pas très bon ménage. «Aux côtés d'autres femmes comme Radhia Nasraoui, je n'ai pas hésité à défendre les islamistes et leurs familles, à l'heure où même certains défenseurs des droits et des libertés les ont lâchés, j'ai même caché des islamistes chez moi», explique l'intervenante. Oum Zied n'hésite pas à monter au créneau contre certains progressistes qui, dit-elle, ne respectent la femme que lors des conférences et à l'occasion de leur passage à la télévision. Membre fondateur du Congrès pour la République, Néziha Rejiba évoque amèrement le fait que dans la vie politique tunisienne, les femmes sont souvent appelées à remplir des vides ou à prémâcher le travail pour les hommes, seules figures «légitimes» du parti. Les femmes restent mal représentées Souvent très critiquées pour leur mutisme ou leur alignement systématique sur les décisions des hommes, les représentantes de la gent féminine au sein de l'ANC semblent être pour beaucoup la preuve que légiférer pour la parité n'est pas la panacée. L'Ugtt bute également sur la question, dans la mesure où ses structures excluent la femme travailleuse de tout poste de responsabilité au sein de la centrale syndicale. Pour Houda Cherif, membre du bureau politique du parti Al Jomhouri, la femme tunisienne doit désormais croire en elle, et en sa capacité à gouverner et à prendre des décisions. En effet, en dépit de plusieurs législations et des conventions internationales sur les droits des femmes, telle que la Cedaw, la représentation des femmes dans la vie politique reste médiocre. «Les femmes ne représentent que 20,3 % des Parlements dans le monde», explique Hamida El Bour, spécialiste des médias et enseignante à l'Ipsi. D'un autre côté, les médias continuent, de façon consciente ou inconsciente, à promouvoir une conception classique de la femme et de son rôle dans la famille et la société.