Avec le retour de nos constituants sur les bancs de l'ANC, le choix du régime politique qui sera retenu par la future Constitution tunisienne, continue à susciter le débat dans la classe politique et au sein de la société civile. A l'appel de Democracy Reporting International (DRI), qui, disons-le, est une organisation qui accompagne la transition démocratique en Tunisie dès les premiers mois de la révolution, une table ronde a été organisée mercredi à Tunis, dont le thème était «Rédaction constitutionnelle: quel régime politique pour la Tunisie ?». Correctement dirigée par Geoffrey Weichselbaum, directeur pays au sein du DRI, cette table ronde a réuni trois intervenants qui ont permis de faire le tour de la question de façon exhaustive. Il s'agit de Omar Chetoui, député CPR et président du comité législatif et exécutif de l'Assemblée constituante, Zied Ladhari, député Ennahdha et vice-président de la commission des pouvoirs législatifs et exécutifs au sein de l'Assemblée constituante, et enfin, Xavier Philippe, expert constitutionnel au sein du DRI. Avant l'ouverture du débat public, les trois invités ont, tour à tour, fait un exposé sur leur conception du régime politique à adopter par la nouvelle Constitution. Omar Chetoui, entame son allocution par une phrase célèbre de Montesquieu : «Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser... Il faut donc que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». Sans entrer dans les détails, il explique que le choix d'un régime ne devrait pas être un sur mesure pour un parti bien déterminé, car la Constitution, si elle a un objectif, c'est certainement d'empêcher un retour au despotisme. Dans ce sens, il admet que le régime «présidentialiste», tel que nous l'avons connu pendant 50 ans, est à rejeter. Mais dans le même moment, il attire l'attention de l'auditoire sur le danger que pourrait représenter un régime parlementaire pur, qui pourrait, si la règle de l'équilibre entre les pouvoirs n'est pas respectée, aboutir à une vie politique dominée par un seul parti qui aurait mainmise sur l'appareil de l'Etat. Zied Ladhari pose, quant à lui, la question de la stabilité politique. Il explique à ce propos que bien que la future Constitution doive rompre avec la dictature, elle ne devrait pas non plus favoriser une vie politique instable, qui d'ailleurs conduirait inévitablement, selon lui, à une dictature. «Au-delà du régime politique à choisir, le système doit être à la fois efficace et fonctionnel», synthétise le député. Très vite, il résume la divergence au sein de l'ANC quant au choix du mode de scrutin du président de la République. En effet, poursuit-il, si le président de la République est élu au suffrage universel, il aura, forcément, une légitimité politique plus grande que celle des députés, et a fortiori, il aura un ascendant sur le Parlement. En revanche, si celui-ci est élu par le parlement, alors il en tirera sa légitimité, et le Parlement aura un ascendant politique incontestable sur le président. Selon lui, la logique électorale voudrait que si un président est élu, l'électeur votera, aux législatives, pour le parti dont est issu le président. Chose qui aboutira à un président, chef de la majorité, qui aura le Parlement sous sa coupe. «Je ne suis pas partisan non plus de l'avis qui suggère qu'il y ait une répartition équitable des prérogatives entre le président et le Premier ministre car, d'une part, cette démarche a très vite montré ses limites dans cette période transitoire, et, d'autre part, les prérogatives ne peuvent être cloisonnées, car dans un pays les décisions doivent être cohérentes», continue-t-il. Enfin, pour Zied Ladhari, le choix du mode de scrutin, n'est pas moins important que le choix du régime parlementaire. Prenant la parole, Xavier Philippe parle d'un pari dans le choix du régime politique à adopter, car l'efficacité et la cohérence d'un système politique ne sont pas l'apanage d'un tel ou tel régime adopté. Cet expert se lance alors dans une mini étude comparative entre les constitutions pour appuyer ses propos. Il explique par exemple que la France et le Portugal disposent à peu près de la même Constitution, sauf que, dans la pratique, il y a deux cultures politiques différentes qui se sont installées dans ces deux pays, car au Portugal, le titre de président de la République est quasiment honorifique. Autre exemple, l'Italie, que l'on classifie, à tort, parmi les pays à régime parlementaire, dispose d'une Constitution qui procure au président de la République de larges prérogatives. Seulement, dans la réalité, le Premier ministre détient les rênes du pouvoir. Sa conclusion est sans appel : Il faut se méfier des constituions autoproclamées parlementaires, présidentielles ou autre, car c'est la pratique politique et les coutumes politiques qui détermineront le vrai visage du régime adopté par pays. Rejoignant l'avis du constituant nahdhaouis, il déconseille de faire le choix de pouvoirs qui se neutraliseraient et qui empêcheraient l'accomplissement de réformes. En guise de conclusion, Xavier Philippe souligne l'importance, parfois négligée, de ce qu'il a appelé «les périphériques» telle que la loi électorale. Pour lui, enfin, une Constitution doit faire fonctionner l'Etat et en même temps favoriser l'alternance des pouvoirs. Une des interventions à retenir également, c'est celle de Salsabil Kelibi, professeur de droit constitutionnel qui, critiquant l'analyse de Zied Ladhari, lui reproche d'avoir fait abstraction de la dangerosité d'un régime parlementaire qui attribuerait au Parlement la responsabilité d'élire un président. «Un Parlement tenu en majorité par un parti, ne peut qu'élire un président du même bord», lance-t-elle.