Par Khaled TEBOURBI «Acceptez le verdict du suffrage libre, quel qu'il soit…» recommande le Premier ministre (discours du 18 août). Le message est lancé, à toutes fins utiles. Mais il vient tôt. Pour l'heure, à vrai dire, les Tunisiens essayent encore de comprendre à quelle sorte d'élections ils sont conviés. A se fier aux explications des politiciens il s'agirait d'élections «à part entière» avec Parlement, président et gouvernement. Ce qui est faux, absolument faux. Le 23 octobre 2011, les Tunisiens seront juste appelés à élire une assemblée constituante. C'est une Assemblée qui aura pour tâche principale de rédiger une Constitution démocratique, en totale rupture avec le régime déchu, et en totale conformité avec les valeurs et les objectifs de la révolution. Une fois ce travail terminé, l'assemblée disparaîtra automatiquement de même que le président et le gouvernement (eux aussi provisoires!) qu'elle aura «entraînés» dans son sillage. Il y a donc désinformation, sinon méprise sur un vote précis et capital pour le pays. On aurait aimé que M.Béji Caïed Essebsi en touchât, au moins, un mot. Il dit avoir eu «une rencontre constructive» avec des représentants de la Haute instance. C'était le moment tout indiqué pour suggérer aux uns et aux autres d'éclairer la lanterne des électeurs, de dissiper, enfin, ce flou persistant, pas forcément innocent, qui entoure la Constituante. Vraisemblablement ce ne fut pas le cas. Mais qu'importe, en tant que premier responsable de la transition démocratique, le Premier ministre est tout à fait habilité à traiter la question. Il y est même tenu. - Tenu, d'abord, de rappeler à tout le monde, aux futurs élus en particulier, que les principes de liberté et de démocratie sont des choix irréversibles. La Constituante ne partira pas de rien, ni ne décidera de tout. C'est le peuple souverain qui est derrière sa présence, et c'est le peuple qui lui délègue mandat. - Tenu, ensuite, de réglementer l'exercice de cette assemblée, d'en fixer la durée car elle ne peut s'éterniser dans ses fonctions, d'en délimiter les attributions car elle ne peut s'arroger tous les pouvoirs. Les partis politiques n'ont peut-être pas intérêt à insister sur ces points, mais le chef du gouvernement provisoire, le garant des objectifs de la révolution et de la transition démocratique, a non seulement le devoir de le faire, il a, en plus, la légitimité pour le traduire à travers des textes spécifiques et contraignants. Ces textes n'ont pas vu le jour encore. Pas même annoncés, ou simplement évoqués lors du discours du 18 août. S'il n'y a pas rattrapage d'ici au début de la campagne électorale, cela voudra dire que les élections de la Constituante ont été sciemment baignées dans le flou. Cela signifiera que l'on a laissé aux partis leur marge de manœuvre politicienne, qu'on les a confortés dans leur «stratégie de désinformation». Lassés et agacés Les 50% qui ont manqué aux listes électorales n'ont visiblement pas trop perturbé la tranquillité des acteurs politiques. Une bonne partie d'entre eux appartient pourtant à cette catégorie de Tunisiens (dont le nombre risque de s'accroître) lassés ou agacés de se voir quasiment mis à l'écart du véritable enjeu des élections du 23 octobre 2011. Poussés à l'incompréhension, empêchés, presque, d'accomplir leur devoir de citoyens. Ces lassés et ces agacés pourraient s'abstenir, à nouveau, dans deux mois. Ce serait un coup dur pour les premières élections, libres de notre histoire moderne. En y songeant bien, cependant, ce ne serait pas sans bénéfice pour la nouvelle démocratie. Il y aurait moins de bulletins dans les urnes, mais moins de votes crédules exprimés. Ce serait surtout une belle et cinglante leçon à l'adresse de tous ceux qui cherchent à se faire élire aux «moindres frais», lorgnant vers le pouvoir sans s'engager sur quoi que ce soit. A ceux-là, on aura fait comprendre que les électeurs tunisiens refusent que l'on confisque la volonté souveraine du peuple, qu'ils disent non au «chèque en blanc» !