Par Khaled TEBOURBI Revoilà les ordures qui infestent nos villes. Une semaine pleine que cela dure. Dans le ventre de Tunis, la situation frôle la cote d'alerte. Immondices partout et des odeurs pourries exhalées à «perte de narines». Le personnel municipal est en grève, soit. Des accords syndicaux sont contestés, soit encore. Oui, mais que fait-on entretemps? Que fait le gouvernement? Le Premier ministre a parlé l'autre jour. Motus sur le chapitre. Etrange, l'hygiène publique serait-elle moins importante que la politique générale et l'économie? N'est-elle pas classée secteur vital autant que l'eau, l'électricité, les transports? Pendant que l'on renégocie avec les agents nettoyeurs, un service minimum ne devrait-il pas être assuré? Des explications au moins, ne sont-elles pas dues aux citoyens? Le même silence règne, du reste, autour de l'invasion des «étals libres». C'est un désordre sans nom, et pas un mot non plus, pas la moindre réaction. De même que sur les constructions anarchiques, violations criardes du droit, qui prolifèrent sous le regard indifférent des autorités. Qu'est-ce qui interdit au gouvernement provisoire de pourvoir à la propreté des villes? La grève du personnel municipal? Allons donc ! Il y a les services de l'armée, il y a des sociétés privés, ne pourrait-on pas y recourir en attendant? Qu'est-ce qui empêche ce même gouvernement d'appliquer la loi contre les «étals libres» et les constructions anarchiques ? La colère des marchands «parallèles» ? Celle des constructeurs clandestins ? Mais alors c'est que la rue commande et décide, à quoi bon confier les affaires du pays à un gouvernement ? Des priorités à réviser Dans son discours d'investiture, M. Béji Caïed Essebsi avait bien insisté sur la restauration de l'autorité et du prestige de l'Etat, sans lesquels, c'étaient ses propres termes, «nul redressement économique ne sera possible». Que s'est-il passé depuis ? L'invasion des «étals libres» et des constructions anarchiques n'est-elle pas un défi arrogant au prestige et à l'autorité de l'Etat ? Et si le Premier ministre se soucie à ce point du redressement économique du pays, pourquoi ne fait-il pas le rapprochement entre le tourisme, notre première ressource, et le spectacle des immondices qui s'offre à la vue de tous ceux qui nous rendent visite ? Est-ce ce spectacle effarant qui va inciter des millions de touristes à revenir ? Sont-ce ces trottoirs encombrés et foireux, sont-ce ces poubelles malodorantes entassées jusqu'aux abords des hôtels et des administrations, et sur la route des aéroports, qui nous donneront accès, demain, au statut de préférence de l'Union européenne? Aucun argument, aucune excuse à faire valoir dans ces conditions. Pas même «le contexte révolutionnaire» devenu, à vrai dire, prétexte à l'inaction. Non plus que «le nécessaire bras de fer avec la centrale syndicale», qui, en bien des situations (exemple des secteurs vitaux) peut virer à l'affrontement sans résultat et sans fin. Le moment, croyons-nous, est venu pour nos gouvernants, autant d'ailleurs que pour nos élites politiciennes, de réviser de fond en comble leurs priorités. Autrement dit, et en plus simple, de s'occuper un peu plus de la tranquillité et de la qualité de vie des citoyens, plutôt que de focaliser, jusqu'à la fixation, jusqu'à l'obsession, sur les modalités du scrutin électoral et les mille et une clauses de la future Constituante. Car ces citoyens, par millions, sont des gens simples qui étaient heureux d'être débarrassés de la dictature, mais qui ne comprendront jamais qu'au motif de la révolution ils doivent endurer, sans limites, insalubrité et gabegie. Ce sont ces millions de citoyens, de Tunisiens moyens que nos élites espèrent voir accourir vers les urnes le 24 juillet prochain. Dans quel état d'esprit seront-ils d'ici là? Optimistes? Confiants? Pour l'heure, rien ne l'indique tout à fait. Il peut y avoir cassure, attention !