Par Mohamed Ridha Bouguerra * «Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage» ou, si l'on veut, il faut se donner un prétexte qui a les apparences de la vraisemblance et même du droit quand on se prépare à commettre un forfait ! Ce vers des Fourberies de Scapin du grand Molière s'est imposé à moi comme une évidence à l'annonce du jugement suspendant les travaux de la Commission d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation. La Justice a, certes, ses arcanes, qu'un profane ne saurait pénétrer ! Des hommes de loi pourraient aisément, et ils ne manqueront certainement pas de le faire, trouver toutes les arguties et subtilités de la chicane pour nous expliquer, voire justifier, le verdict en question. Mais tous les points de procédure qui seront invoqués ne pourront nous ôter la pénible idée que l'avocasserie mise ici en branle ne sert, finalement, qu'à embrouiller l'affaire en prenant prétexte sur des détails et des formalités. Nous sommes, certes, pour l'Etat de droit, mais le juridisme, probablement excessif dans toute cette affaire, doit-il priver le citoyen lambda de se poser les questions qui trottent en ce moment par la tête de tout un chacun ? Et d'abord celle-ci: à qui profite le fait de mettre des bâtons dans les roues de la dite Commission ? Qui a peur, ensuite, de voir les noms des responsables corrompus étalés dans les journaux? Comment expliquer la célérité remarquable dont la justice a fait preuve pour se prononcer sur cette affaire ? Qui a chargé, enfin, le collectif d'avocats d'introduire cette action en justice ? Alors que le peuple ne cesse, à juste titre, d'exiger du gouvernement de prendre des mesures claires qui indiquent une nette et définitive rupture avec l'ancien pouvoir, voilà que certains auraient tendance à nous ramener à l'ère de l'opacité. Par des recours abusifs à la justice, si l'on en juge d'après la réponse du Premier ministre sur cette question, ils contestent à l'exécutif l'une de ses principales prérogatives du moment, celle, en l'occurrence, d'engager des poursuites contre tous ceux qui, pendant deux décennies, n'ont fait que spolier le commun des mortels et s'arroger des privilèges qui ont eu pour conséquences de déposséder l'Etat et de rançonner les particuliers. Le jugement qui vient d'être rendu n'est, heureusement, qu'une étape dans une bataille juridique qui n'a pas encore dit son dernier mot. Il ne nous fait pas moins craindre que l'on ne s'achemine, petit à petit, vers une République des juges et des hommes de loi où le formalisme juridique risque d'occuper, de plus en plus, notre scène politique et de servir d'entrave à l'action de l'exécutif qui n'en demande pas tant dans les circonstances actuelles ! Lors de leurs apparitions sur les petits écrans pour commenter le verdict qui nous importe ici, le Premier ministre et le président de la Commission concernée semblaient bien sereins quant à la stricte conformité de cette Commission à la loi dans toutes les étapes de sa création et de sa constitution. Celle-ci finira donc par reprendre ses travaux pour démasquer tous ceux qui ont trempé dans des affaires de corruption. Il ne nous restera pas moins l'amère impression que les demandeurs dans cette triste affaire n'ont fait que donner raison à Molière que nous citons de nouveau et qui fait dire à un personnage de sa comédie Monsieur de Pourceaugnac : «Ils commencent ici par faire pendre un homme, et puis ils lui font son procès». Ainsi, l'essentiel pour le collectif d'avocats partie prenante dans cette affaire réside dans le discrédit qu'ils espèrent avoir semé dans l'opinion publique sur la Commission, sur la compétence de ses membres et sur sa régularité du point de vue juridique. Quitte à ce que tout cela s'avère, finalement, pure fumée dans le seul but de brouiller davantage les pistes et d'ajouter à la confusion comme si le peuple était dupe de ces manœuvres dilatoires qui ne confondent, en réalité, que leurs auteurs ! Heureusement, cependant, qu'il arrive à la République des juges et des hommes de loi de nous apporter de bonnes nouvelles comme celles dont vient de nous gratifier, mercredi 9 mars, le Tribunal de Tunis qui a décidé la dissolution du RCD et le retour de tous ses biens meubles et immeubles à l'Etat ainsi que la réhabilitation de la Commission dont nous parlons qui va ainsi poursuivre ses investigations. Que l'on comprenne donc que, désormais, dans la Tunisie nouvelle du Droit et de la Justice, la Vérité aura droit de cité et force restera à la Loi. P.S. : Nous apprenons avec une immense tristesse et le sentiment d'un énorme gâchis que la Commission s'est vu interdire, en appel, toute action avec obligation de remettre au procureur de la République tous documents et pièces actuellement en sa possession. On ne peut s'empêcher de répéter encore : «Tout cela au profit de qui ?». Même si c'est le Droit qui sort gagnant dans cette pénible affaire, l'opinion publique ne manquera pas de penser ici que celui qui gagne perd en réalité. Perd en crédibilité surtout. Le Droit ne devrait, en effet, qu'être l'indéfectible soutien de la Vérité et de la Justice ! * (Universitaire)