La gestion actuelle des ressources hydriques présente quelques faiblesses Bien que les récentes précipitations aient amélioré sensiblement les ressources hydriques du pays, la situation hydrique reste vulnérable en raison de la pollution, responsable de la dégradation de la qualité des eaux de surface par les rejets divers et la surexploitation. « La première urgence, de notre point de vue, serait de lutter contre les pollutions ponctuelles et diffuses par la mise en place de stations d'épuration fonctionnelles », a affirmé l'experte en ressources hydriques, Raoudha Gafrej. En effet, le développement de l'activité agricole, tributaire de la disponibilité de l'eau, concurrence le secteur de l'eau potable, prioritaire en cas de sécheresse. Comme les changements climatiques vont réduire la disponibilité de l'eau, la recherche d'autres solutions pour le secteur agricole s'avère nécessaire. Celui-ci subit de nombreuses contraintes, et la disponibilité de l'eau à elle seule ne permet pas de les surmonter. Malgré tous les efforts consentis par le ministère de l'Agriculture, de la Pêche et des Ressources hydrauliques, la gestion des ressources en eau demeure morcelée et n'assimile pas les piliers fondamentaux de la gestion intégrée. Les interventions menées restent incomplètes et ne permettent pas de faire face aux impacts globaux des changements climatiques. Il est nécessaire de viser une gestion globale du compte de l'eau (intégration de l'eau virtuelle) en prenant en considération les nouvelles règles telles qu'identifiées par la Constitution tunisienne et les objectifs de développement durable (ODD). La gestion actuelle des ressources en eau présente quelques faiblesses, liées essentiellement à la gouvernance, aux mécanismes de participation, à la transparence et au besoin de renforcement des capacités de la société civile et de la population en tant qu'acteurs clés de la « démocratie de l'eau », a observé l'experte en ressources hydriques. Or, ces éléments sont les seuls garants de la durabilité environnementale, sociale et économique des investissements, de la réduction des inégalités et de la vulnérabilité des populations les plus démunies. Réhabiliter et moderniser les réseaux d'alimentation en eau Les défaillances observées à divers niveaux sont responsables des pertes en eau, à l'instar de celles enregistrées sur les réseaux aussi bien dans le secteur de l'eau potable que celui de l'eau d'irrigation. Il est inutile de produire davantage d'eau si les réseaux ne sont pas étanches, explique Mme Raoudha Gafrej. Le recours à des systèmes d'eau intelligents, en passant par le comptage obligatoire des prélèvements et la protection des réseaux contre toute forme de délinquance, constitue les meilleures solutions au gaspillage et aux pertes des ressources en eau. Dans le secteur agricole, la réhabilitation des réseaux doit être précédée d'une révision de la politique globale du secteur, tenant compte des possibilités de reconversion des activités économiquement non rentables ou climatique non durables,a, par ailleurs, ajouté, la spécialiste des ressources en eau. Compte tenu de la faiblesse des ressources en eau, certaines solutions pour le secteur agricole se trouvent dans d'autres secteurs. L'absence d'assurance-sécheresse alourdit les dépenses de l'Etat qui indemnise les agriculteurs en fonction des superficies agricoles sinistrées. En outre, elle ne permet pas l'indemnisation d'autres cultures sinistrées comme l'oléiculture. A titre d'exemple, la sécheresse de 2016 a poussé le ministère de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche à recourir à une stratégie ponctuelle d'un coût de 16 millions de dinars. Les interventions, étalées sur cinq mois (avril-août 2016), se sont concrétisées par la subvention de l'orge fourrager et des cubes de luzerne, ainsi que par le soutien du prix des semences fourragères produites localement (communiqué du Marhp). Valoriser les eaux excédentaires Pour subvenir aux besoins du secteur agricole, de nouvelles formes et approches de gestion des eaux des bassins-versants devraient être initiées. En effet, selon certains travaux préliminaires, la Tunisie dispose d'un potentiel d'1 milliard de m3 pour une année considérée sèche et de plus de 11 milliards de m3 en année pluvieuse extrême . Il conviendra de mener des études supplémentaires afin de stocker le maximum de ces eaux qui sont jusqu'ici rejetées en mer et dont le volume a dépassé 2,5 milliards de m3 rien que pour l'année 2012, a affirmé, en outre, Raoudha Gafrej. De nouveaux modes de transfert d'eau devraient être envisagés, ce qui permettra également de dépasser la contrainte liée à la qualité de l'eau de certains barrages, à l'instar de celui de Sidi Salem. La réutilisation des eaux usées traitées (Reut) évolue de façon très timide : 60 Mm3 ont été réutilisés en 2015, alors que le potentiel est de 243 Mm3. Les contraintes majeures sont liées à la qualité de l'eau et à l'absence de cadre institutionnel et juridique efficace et complet. La Reut constitue un potentiel durable, mais aussi une réelle stratégie d'adaptation aux changements climatiques particulièrement dans les zones rurales où l'agriculture demeure la seule possibilité de développement. L'amélioration de la qualité est un atout pour une meilleure valorisation de ce potentiel. Réviser la tarification de l'eau La spécialiste nous informe qu'au niveau national la tarification de l'eau ne permet pas de couvrir les frais d'exploitation relatifs au service sans même compter les frais liés à la mobilisation, qui sont à la charge de l'Etat. Dans le gouvernorat de Kasserine, la tarification est très variable, ce qui provoque des conflits entre les différents usagers mais aussi entre les usagers et les groupes de développement agricole (GDA). Maintenir le service d'approvisionnement en termes de quantité et de qualité implique que les tarifs couvrent les charges d'exploitation. Une tarification « climatique » pourrait également constituer une solution pour une meilleure valorisation économique de la ressource et une lutte efficace contre le gaspillage. Le principe est qu'aucune source d'eau ne doit être libre d'accès, ajoute Raoudha Gafrej. Renforcer les capacités des GDA La situation actuelle de la gestion des ressources impose de renforcer les capacités des GDA et des Crda. En effet, ni les uns ni les autres ne disposent des technologies modernes de gestion de l'eau (logiciels, technologies de comptage et de suivi des systèmes). Des équipes techniques compétentes au niveau des GDA constituent désormais une nécessité absolue. La structure officielle chargée de la coordination entre les différents organismes et usagers de l'eau ne semble pas pouvoir régler à elle seule tous les problèmes complexes du secteur. De ce fait, la création de comités régionaux spécifiques au secteur de l'eau semble s'imposer. Ces comités permettraient de créer une certaine harmonie entre les différents organismes et atténuer les conflits qui semblent s'intensifier. Ils constitueraient une plateforme de dialogue permanent entre les différents acteurs, dans le but de tracer ensemble la politique de planification régionale de l'eau. Il faudrait tirer profit de l'expérience pilote que la GIZ a menée à Kairouan dans le cadre du projet Agire (Appui à la gestion intégrée des ressources en eau). A cette occasion, la mise en place de « Forums de l'eau » a permis une convergence d'efforts en vue d'une gestion collective et participative des ressources au niveau local. Ces forums pourraient être une étape préalable à la formation des comités de gestion de l'eau.