Le nombre de demandes de mutation ne cesse de s'accroître d'année en année. L'absentéisme des enseignants du primaire et du secondaire figure parmi les principaux maux chroniques qui rongent notre système éducatif. En effet, beaucoup d'entre eux prennent des congés plus ou moins longs, et ce, pour plusieurs motifs dont les maladies chroniques, les dépressions dues aux mauvaises conditions dans lesquelles les enseignants exercent depuis plusieurs années avec un stress lié au métier, aux classes surchargées, à la violence des élèves et à d'autres éléments perturbateurs. Mais une des principales causes du phénomène de l'absentéisme est due aux souffrances vécues par des enseignants qui font quotidiennement la navette entre leur lieu d'habitation et leur lieu de travail, situé à des dizaines de kilomètres. Un vrai calvaire qui engendre une perte de temps et le gaspillage de beaucoup d'argent, surtout pour le transport et les repas dans les restaurants. D'où le nombre important de demandes de mutation déposées chaque année par des enseignants désireux d'être mutés, soit à l'échelle nationale (d'un gouvernorat à un autre), soit à l'échelle régionale (d'une délégation au centre-ville). M. Chaâbane Rahmani, secrétaire général du Syndicat des enseignants du secondaire de Kairouan, nous explique dans ce contexte : «Il y a plusieurs critères fixant les modalités des mutations dont le rapprochement des conjoints, le nombre d'années d'éloignement, les scores obtenus, la situation familiale, les cas sociaux, le nombre d'enfants, les problèmes de santé graves (cancer, dialyse, autisme d'un enfant, etc.), des parents à charge, etc. Mais ce que nous remarquons en général à propos du gouvernorat de Kairouan, c'est le désir d'un grand pourcentage d'enseignants d'être mutés vers des villes côtières (Tunis, Cap Bon, Sousse ou Sfax), tandis que les autres voudraient quitter les villages et les douars reculés pour aller en ville. Pour cette année, nous avons traité plus de 400 demandes de mutation dont certaines font partie des mutations à l'échelle nationale et d'autres à l'échelle régionale. Plus de 200 enseignants ont obtenu ce qu'ils désirent et le reste est en cours d'être régularisé. Etablissements sans enseignants A vrai dire, les nombreuses mutations qu'on enregistre chaque année, même au milieu de l'année scolaire, entraînent un désordre pédagogique très stressant pour les élèves qui se retrouvent sans enseignants pendant plusieurs semaines. Il m'est arrivé de constater que dans une école rurale, le plus ancien instituteur est un suppléant ! Par ailleurs, il arrive que certains enseignants refusent les postes offerts dans les zones montagneuses, ce qui cause beaucoup de défaillances, surtout dans les matières de base. Et ce sont les élèves qui en pâtissent le plus…», ajoute M. Rahmani. Pour avoir une idée plus concrète sur le sujet qui perturbe chaque année la vie scolaire, nous avons recueilli le témoignage de deux professeurs. Notre première rencontre fut avec Mme Mounira Romdhani, professeur de français au lycée de Bouhajla depuis 14 ans : «Comme vous le savez, le métier d'enseignant est épuisant, on est constamment sur le qui-vive puisqu'on est toujours appelé à consentir un effort tant mental que physique. D'une part, on est obligé de faire régner le calme, d'autre part, on fait cours… Une vigilance de tout instant car à la moindre distraction, on risque de perdre la maîtrise de la classe. Personnellement, cela fait 14 ans que je fais quotidiennement le déplacement entre Kairouan où j'habite et Bouhajla où je travaille et où je dois être en forme pour bien maîtriser la classe. Il m'arrive d'être absente de chez moi de 6h00 à 18h00. C'est pourquoi j'ai été obligée d'inscrire ma fille âgée de 9 ans dans une garderie scolaire privée pour les heures où elle n'a pas cours car mon époux travaille et mes parents sont malades. En outre, si je n'ai pas eu d'autres enfants, c'est parce que ma grossesse nécessite des soins médicaux quotidiens et un suivi rigoureux pour éviter les fausses couches, chose que je ne peux pas faire vu les déplacements que je fais chaque jour. Et j'ai beau faire de nombreuses demandes de mutation, en vain. J'aimerais tellement accompagner mon unique fille dans tous ses pas dans la vie! Et il m'arrive d'être submergée par quelque chose de si amer, de si définitif que personne, j'en suis sûre, ne peut connaître pire détresse. Pourquoi tant de souffrances?». Sa collègue, Mme Samia Jaouadi, renchérit : «Je vais bientôt avoir 45 ans et cela fait 19 ans que j'enseigne loin de ma ville, Kairouan, sachant que je suis divorcée et que j'ai trois enfants à charge âgés de 13, 10 et 4 ans. Et je dois gérer à distance l'emploi du temps de mes enfants que j'ai dû inscrire dans des garderies privées afin qu'ils soient préservés des dangers des mauvaises fréquentations. Et malgré les nombreuses demandes de mutation que j'ai présentées vu mon cas social, je n'ai pas été mutée, alors que d'autres n'ayant pas d'enfants et ayant un score inférieur au mien l'ont été grâce à leurs liens familiaux avec des syndicalistes. Où est la transparence? Où est la justice? Parfois, je me sens seule et incomprise car j'ai tellement envie d'être à côté de mes enfants afin de leur inculquer le sens du devoir et de leur apprendre à contrôler leurs émotions et à dire et à faire ce qui doit être dit et fait. Chaque fois que je les quitte le matin, je me sens mutilée et privée des repères qui définissent ma place dans ce monde. En fait, je ne sais plus comment me situer ou ce que je suis venue faire sur terre...».