L'Isie, la Haica, les Instances nationales pour la prévention de la torture (Inpt), d'accès à l'information, de protection des données personnelles, des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, celles de lutte contre la corruption (Inlucc), contre la traite des personnes… Ce sont huit autorités publiques indépendantes, désormais unies et réunies dans une nouvelle ligue fédératrice dont la naissance a été annoncée lors d'un forum associatif tenu vendredi matin, aux Berges du Lac, à Tunis. Bien plus, cette coalition qui revêt le sens d'autonomie et du contre-pouvoir institutionnel a été officialisée suite à la signature d'un protocole d'accord qui ne peut être qu'un acte rassembleur censé conférer à ces instances publiques plus d'indépendance et d'efficacité. Bien qu'elles tirent leur légitimité de la Constitution de janvier 2014, soit tout un chapitre leur est consacré, ces instances n'y ont pas pu trouver leur compte. Leur statut juridique, financier et même administratif en dit long. «Le problème majeur demeure bel et bien l'affirmation de leur indépendance, un acquis qui ne se décrète pas», lance Mme Nadia Ben Chaâbane, doyenne de la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, dans une déclaration à la presse. Mais, il y a, somme toute, poursuit-elle, des critères qui doivent être remplis. Car, d'après elle, le mode de désignation de leurs membres, l'autorité sur leurs plans budgétaires et mêmes les instances soi-disant constitutionnelles, particulièrement, soumises au parlement, une telle réalité révèle une certaine dépendance au pouvoir politique. Instances en souffrance ! D'ailleurs, l'exemple de l'Inpt, née au forceps fin mars 2016, semble être édifiant : laquelle instance aux larges prérogatives de prévention de la torture n'a jamais mis les pieds dans aucun centre de détention en Tunisie. La budgétisation de ses programmes et activités n'est guère décidée de son plein gré. De même, la gestion de ses ressources humaines ne relève quasiment pas de son entière responsabilité financière. Même sort a été aussi réservé à l'Inlucc. A ses débuts trébuchants, on lui avait, tout bonnement, demandé de combattre la corruption avec un budget assez modique, au point que son président Chawki Tabib décida de rendre le tablier. Et les difficultés de tout ordre dont souffrent ces instances publiques montrent à quel point il leur est nécessaire de s'organiser en un pareil collectif uni et solidaire. Son apport, qu'en est-il au juste? Alors, argue la doyenne, le fait qu'il y ait une ligue qui réunisse les différentes instances permettra, éventuellement, d'éviter les conflits de compétences qui surgissent, parfois, entre elles». L'objectif, certes, est de mettre en synergie leurs actions et initiatives. Et Mme Ben Chaâbane de conclure : «Pour affirmer leur indépendance, il est plus que nécessaire de réviser certains textes qui l'organisent». Un contre-pouvoir ? Justement, il y a quelques mois que l'idée de former une telle ligue a bien germé dans la tête, rappelle M. Ramy Salhi, directeur du bureau Maghreb, à Tunis, du Réseau Euromed des droits de l'Homme. Aujourd'hui, avec la tenue de ce forum, dit-il, le rêve est réalisé. A vrai dire, l'objectif, selon lui, est de coordonner les efforts, mais aussi de mutualiser les moyens humains, techniques et financiers. «Afin que ces instances puissent se positionner en tant qu'instances réellement indépendantes et comme un véritable contre-pouvoir institutionnel», espère-t-il. Le but étant de sortir du giron de l'exécutif et faire en sorte de surmonter leurs propres difficultés. Tant il est vrai, note-t-il, que toutes ces instances souffrent d'un manque de moyens humains, financiers et administratifs. Autant de difficultés signalées non seulement au niveau de leur coordination avec les pouvoirs de l'Etat, mais aussi au plan de leurs statuts juridiques. Et de renchérir : «La création de cette ligue-là va certainement faciliter la tâche et puis coordonner leurs interventions». Autre objectif, aux dires de M. Salhi, traiter les programmes d'action communs, cela se résume en deux points, à savoir l'organisation, d'ici la fin de l'année, d'un symposium de la société civile et d'une conférence annuelle des instances publiques indépendantes. « Cette nouvelle ligue, on la soutient inconditionnellement», affirme-t-il, en conclusion. Quant à M. Imed Hazgui, président de l'Instance d'accès à l'information, il voit en cette nouvelle formation qu'est la ligue d'instances publiques indépendantes un espace propice de concertation et de coordination. Cela aidera à mieux s'organiser et faciliter la tâche et les missions qui leur seront assignées, a-t-il précisé. « C'est aussi un nouveau statut qui va nous donner plus de poids sur la scène, surtout en termes de négociations et de révision de certains textes de loi», explique-t-il encore. Comme, il y avait eu, parfois, des différends, confusion de conception ou conflits de compétences surgis entre certaines instances, à l'exemple de l'Isie et la Haica ou l'Instance d'accès à l'information et celle de la protection des données personnelles, le lancement de cette ligue, semble-t-il, intervient à point nommé pour mieux gérer leurs crises internes, en suggérer les solutions appropriées et faire face à l'hégémonie du pouvoir politique.