La violence est souvent considérée comme étant un refus, un mépris de l'autre signifié envers soi, ce qui finit, à coup sûr, par causer des lésions psychologiques. Par quels moyens peut-on rétablir l'estime de soi et l'équilibre psychologique chez les femmes victimes de violence ? Cette mission relève-t-elle exclusivement des mécanismes de l'Etat ou, pour atteindre un niveau de performance optimale, nécessite-t-elle, en outre, l'application volontariste et engagée de la société civile ? Cette thématique a été soulevée lors d'une conférence organisée, jeudi dernier à Tunis, par l'Union nationale de la femme tunisienne (Unft). Cette rencontre s'inscrit dans le cadre des Journées internationales des Nations unies, baptisées : «Seize jours d'activisme et de mobilisation sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes». Elle constitue, également, un pas vers la sensibilisation et l'information sur l'entrée en vigueur de la Loi organique de lutte contre toute forme de violence à l'égard des femmes et des filles, prévue pour février 2018. Avant de se pencher sur les modalités de prise en charge et d'accompagnement psychologique des femmes ayant subi une ou plusieurs forme de violence sur fond sexiste, il est judicieux de revenir sur l'état des lieux de ce phénomène devenu d'ampleur car social, voire mondial. Mme Mongia Souayhi, universitaire, a inauguré la liste des interventions en mettant l'assistance face à la réalité telle qu'elle est vécue dans notre société. Si le taux de violence à l'égard des femmes s'élève, dans le monde, à 70%, il frôle, en Tunisie les 50%, ce qui n'est pas moins effarant. «La mise en application de la Loi organique sur la lutte contre toute forme de violence à l'égard des femmes et des filles nécessite la garantie d'une batterie de moyens à même de traduire cette vision en réalité. Pour ce, il convient de soutenir la société civile dans son activité, mettre en place des centres d'hébergement adaptés à cet effet et rétablir l'égalité des chances entre la femme et l'homme sur le plan professionnel, voire salarial», a-t-elle insisté. La menace wahabite et l'esprit rétrograde L'oratrice a mis à nu l'esprit rétrograde et dégradant dont l'impact sur la société, en général, et sur les Tunisiens de faible niveau d'instruction, en particulier, est évident. Un esprit véhiculé, en boucle, par les chaînes islamiques wahabites et qu'intègrent certains prêcheurs pour le diffuser auprès du public. Elle a souligné l'impératif, pour les femmes victimes de violence et pour la société de montrer du doigt la violence basée sur le genre comme un tort à réfuter et à combattre via la sensibilisation, l'information sur les droits humains mais aussi par la bonne éducation. «Pour détruire une nation, prévient-elle, rien n'est plus redoutable qu'un enseignement de qualité médiocre. Hélas, c'est le cas dans notre pays». Pour rétablir l'équilibre psychologique et l'estime de soi chez les femmes victimes de violence, il est indispensable, avant toute chose, de reconnaître la violence comme étant un acte d'offense à la personne, à son intégrité corporelle, à ses droits humains et à sa dignité, ce qui est passé souvent sous silence pour ne pas dire banalisé. Mme Khadija Belhassine, universitaire spécialisée dans la question du genre, a rappelé que la violence basée sur le genre puise son fondement, voire sa légitimation dans la religion et les interprétations de certains prêcheurs qui n'hésitent pas, des textes coraniques à l'appui, à expliquer les «vertus» et les «bienfaits» de la violence à l'égard des femmes comme étant une astuce, voire une méthode idéale pour maîtriser la femme et exercer son pouvoir machiste sur sa conjointe et sur sa famille. «En Tunisie, la législation pré-indépendance et post-indépendance conférait à la violence à l'égard de la femme une certaine légalité. Ce n'est qu'en 1993, et suite aux actions de protestations et de manifestations menées par la société civile féminine, que la Législation s'était enfin délestée du principe de la soumission de la femme à l'homme», a-t-elle rappelé. Et d'ajouter qu'à partir de 1996, et suite aux différentes études élaborées sur la violence subie par la femme que cette question a pris une dimension nationale. L'objectif fixé alors étant de changer les mentalités et d'initier la femme, et l'homme, aux droits humains communs. «En dépit des efforts fournis dans ce sens, et malgré les avancées enregistrées en matière d'information et de sensibilisation, le traitement social et institutionnel du phénomène de la violence à l'égard des femmes demeure, pour ainsi dire, superficiel et restrictif. La punition de l'agresseur ne compense nullement la lésion psychologique dont souffre la victime», a-t-elle souligné. Place à des structures adaptées à la question du genre dans les postes de police L'oratrice a dénoncé, en outre, l'absence d'une prise en charge adaptée au sein des postes de police. Non formés, ignorant jusqu'à l'existence même de structures spécialisées dans la prise en charge multidisciplinaire des femmes victimes de violence, les agents de police ne trouvent souvent d'autre alternative que de calmer la victime en banalisant sa plainte et en l'incitant à rebrousser chemin pour continuer à vivre, résignée, son calvaire. «Pourtant, la Résolution 13/25 des Nations unies recommande la féminisation des structures policières spécialisées dans l'accueil et la prise en charge procédurale des femmes victimes de violence», a-t-elle précisé. L'oratrice a attiré l'attention sur le manque de centres d'hébergement des femmes victimes de violence notamment dans les régions du sud où l'on recense le plus grand nombre de cas de violence sexiste. De la réaction émotionnelle à l'action édifiante Sur le plan psychothérapeutique, la prise en charge de cette catégorie-cible n'en demeure pas moins compliquée. M. Habib Louhichi, psychothérapeute, a indiqué que cette mission repose, d'abord, sur la personnalité de la victime, de ses antécédents psychologiques, de son vécu, de son tempérament, puis de son état psychologique résultant de l'acte de violence lui ayant été infligé : une violence verbale ou physique, économique ou sexuelle. «La psychologie, a-t-il indiqué, est l'interaction dynamique entre les quatre composantes de la personnalité humaine, à savoir les composantes intellectuelle, physique, émotionnelle et spirituelle. Le vécu personnel de chacun d'entre nous s'avère être fondamental à cette interaction. De même que le cumul des violences subies depuis l'enfance». Aussi, l'estime de soi s'avère-t-elle étroitement liée à l'estime qu'a autrui pour nous. Le regard de l'alter ego constitue une référence-clef pour le soi. La violence est souvent considérée comme étant un refus, un mépris de l'autre signifié envers soi, ce qui finit, à coup sûr, par causer des lésions psychologiques. «La psychothérapie a pour finalité de reconstruire l'estime de soi. Pour mener à bien cette action, le psychothérapeute est appelé à être prédisposé, sur le plan psychologique, à apporter de l'aide à autrui», a-t-il insisté. La prise en charge psychologique doit aboutir à la réhabilitation de l'estime de soi, de l'équilibre psychologique mais aussi, et surtout, au passage salvateur de la réaction impulsive et émotionnelle à l'action positive et édifiante.