Une loi de finances ne se réduit pas à de simples considérations comptables. Elle est l'expression d'une vision de développement à moyen et long terme. A ce titre, le projet de loi de finances 2018 devrait être lu à la lumière des objectifs du programme économique et social du gouvernement à l'horizon 2020 Le ministère des Finances subit d'énormes pressions à propos du budget. Plusieurs ministères demandent des fonds supplémentaires Un Conseil ministériel doit se tenir la semaine prochaine afin d'examiner le projet de loi de finances 2018, avant de le soumettre, pour un examen plus politique, à l'Assemblée des Représentants du Peuple. Avant même qu'il ne soit rendu public, la première mouture, ou du moins ce qui en a fuité, semble émouvoir les économistes à la fibre sociale, qu'ils estiment trop enclin à aller chercher des sous au fond des poches du contribuable dont le pouvoir d'achat est déjà amoindri par la hausse vertigineuse des prix et l'inflation importée (suite au glissement du dinar face à l'Euro). Evidemment, comme à chaque fois avec le projet de loi de finances, la copie sera révisée à plusieurs reprises, d'abord en conseil ministériel, ensuite à la commission des finances et enfin en plénière à l'hémicycle de l'ARP. Ballon d'essai qui se dégonflera ou vrai débat avec les partenaires sociaux, la version finale sera certainement différente du draft. Toujours est-il que la marge de manœuvre du gouvernement est très fine compte tenu de ses engagements vis-à-vis des créanciers de l'Etat, mais également compte tenu des promesses du chef du gouvernement de mettre de l'ordre dans les finances publiques en réduisant le déficit budgétaire à 3% du PIB d'ici 2020. Parmi les premières mesures annoncées vendredi dernier lors de la conférence du Conseil National de la Fiscalité, une hausse des différentes catégories de TVA, de 6 à 7% pour le tableau B, de 12 à 19% pour le tableau B bis et de 18 à 19% pour l'ensemble des autres biens et services. Plusieurs autres taxes devraient faire grimper les recettes fiscales de l'Etat à l'instar de l'augmentation de la taxe de circulation de 25% ou encore la création d'une Contribution sociale généralisée (CSG) qui est un prélèvement à la source servant à financer quelques dépenses liées à la sécurité sociale. Si ces mesures fiscales sont retenues, l'Etat tunisien devrait, selon les calculs des experts, pouvoir récolter 1 355 millions de dinars de recettes. L'Ugtt formulera des propositions Mardi, une réunion s'est tenue entre le ministre des Finances, Ridha Chalghoum, et des représentants de l'Ugtt, lors de laquelle le ministère a encore une fois présenté les grandes lignes du budget de 2018, sans toutefois fournir un document officiel. Selon nos informations, les pressions que subit le ministère des Finances à propos du budget sont énormes. Plusieurs ministères demanderaient en effet des fonds supplémentaires. Mises à part les mesures fiscales qui peuvent faire grincer des dents, d'autres mesures plus attendues devraient entrer en vigueur dès janvier 2018 et visent essentiellement à lutter contre l'évasion fiscale. Ainsi, l'idée de la caisse enregistreuse devrait faire son grand retour avec, cette fois, des mesures concrètes d'application. Le régime forfaitaire devrait également être transformé en régime réel pour tout métier dont le chiffre d'affaires excéderait un certain montant. Expert auprès du département des études, relevant de l'Ugtt, Karim Trabelsi nous affirme que la centrale syndicale aura son mot à dire et formulera ses propositions dès que le Conseil des ministres aura validé la version finale du projet de loi de finances. Parmi ces propositions, l'interdiction du cash au-delà d'un certain montant (à déterminer), dans le but de lutter contre l'économie souterraine. Par ailleurs, l'expert s'inquiète du manque à gagner de la taxe exceptionnelle de 7.5% sur les entreprises qui disparaîtra en 2018. Une taxe qui avait rapporté à l'Etat 730 millions de dinars. «L'hypothèse du baril de pétrole à 51 dollars me semble raisonnable, estime Karim Trabelsi. Toutefois, le budget restera très sensible à la volatilité du taux de change. Il faut savoir que 10 milimes de fluctuation du taux de change coûte à l'Etat 30 millions de dinars en termes de compensation ». Miser sur l'investissement et l'exportation De son côté, Mohsen Hassen, responsable du dossier économique au sein de Nida Tounès, a affirmé à La Presse que l'année 2018 sera une année exceptionnelle qui nécessitera une solidarité au niveau national. Selon lui, le report à 2018 de certaines augmentations salariales au titre de 2017, la hausse du service de la dette locale et extérieure due au glissement du dinar et à l'augmentation du TMM (Taux moyen du marché monétaire) et la baisse de la production pétrolière se feront sentir dans le budget de l'Etat. « Il est important pour le gouvernement de clarifier sa politique de relance économique de sorte à soutenir ouvertement les investissements et les exportations, propose-t-il. Une relance économique qui se base sur la demande intérieure n'est plus suffisante ». L'ancien ministre du Commerce préconise que l'Etat ne baisse pas ses investissements qui ne devraient pas être en dessous de 6 milliards de dinars. Il s'agit pour lui d'un moteur de croissance efficace à court terme. « Afin d'arriver à garder un investissement soutenu, il est important de voter le plus rapidement possible la loi d'urgence économique et de booster le partenariat public-privé qui pourrait mobiliser pas moins de 4 milliards de dinars dans des projets aussi divers que le port en eaux profondes, le projet Taparura ou la zone franche de Ben Guerdane », explique-t-il, tout en appelant à l'investissement privé dans les régions en permettant aux entrepreneurs d'accéder à un financement bon marché. En ce qui concerne le développement des exportations, outre la nécessaire restructuration du Cepex, Mohsen Hassen insiste sur la nécessité de soutenir les exportateurs à travers des subventions du transport (pour certains produits), une prise en charge par l'Etat d'une partie de l'assurance à l'exportation et même un financement des opérations d'exportation. Côté fiscalité, le dirigeant de Nida Tounès a estimé que les premières mesures dévoilées du projet de loi de finances sont raisonnables compte tenu de la conjoncture exceptionnelle. « La hausse de 1% du taux de TVA permettra à l'Etat de récolter, même si elle augmente la tendance inflationniste, 500 millions de dinars », précise-t-il. Mohsen Hassen voit également d'un bon œil l'intention du gouvernement d'augmenter de 5% à 10% l'impôt sur les dividendes, mais souhaiterait que la mesure s'accompagne d'une baisse de l'impôt sur les sociétés pour certaines activités de 2 ou 3%. « Combinées ensemble, ces deux mesures permettraient à l'entreprise de privilégier l'investissement à la distribution de dividendes », conclut-il. En revanche, le responsable plaide pour une suppression pure et simple du régime forfaitaire à la faveur d'un nouveau régime fiscal plus équitable. L'ancien ministre indique dans le même registre que la hausse de la taxation des produits de luxe prévue par la nouvelle loi de finances est nécessaire mais doit être temporaire, car elle permettra de juguler voire de réduire le déficit commercial. « Il est vrai, admet-il, que cette mesure arrangera les affaires des contrebandiers, mais elle est inéluctable ». Par ailleurs, Mohsen Hassen estime à 3 milliards de dinars les recettes non fiscales, à savoir les recettes de cession d'entreprises publiques telles que la Banque de l'Habitat ou la Banque de la Zitouna.