Par Pr Imed Abdeljaoued* Merci Docteur Amine Ben Youssef d'avoir égayé et illuminé cette journée du 30 avril 2016, routinière et sans saveur, faisant d'elle un moment historique pour la Tunisie. En cette journée lourde et brumeuse, la lumière a jailli et l'émotion était à son comble à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis où tu as soutenu, avec brio, ta thèse de doctorat en droit international privé portant sur «L'intérêt de l'enfant en droit international privé tunisien», décrochant haut la main le grade de docteur ès droit avec la mention «Très honorable». Merci Docteur Amine de venir renforcer le corps des docteurs et chercheurs tunisiens et ajouter une nouvelle pierre à l'édifice de la connaissance. Merci Docteur Amine de cette merveilleuse leçon de courage, de fougue, de persévérance, d'optimisme, de lutte, de surpassement de soi et de transcendance que tu nous infliges aujourd'hui, nous autres «personnes normales», et qui nous fait rougir de honte et de culpabilité pour avoir nourri, par notre arrogance et notre ignorance, l'exclusion et la discrimination de Tunisiennes et de Tunisiens doublement victimes de l'incapacité et de l'environnement. Merci Docteur Amine pour avoir comblé de joie, de fierté et d'espoir des centaines de milliers de personnes handicapées et leurs familles qui désespèrent aujourd'hui, en Tunisie, d'une société inclusive, affranchie des stéréotypes discriminatoires sur le handicap et qui tolère la différence. Merci Docteur Amine de redonner espoir à des dizaines de milliers d'apprenants handicapés qui abandonnent actuellement leurs centres d'éducation spécialisés (leurs écoles et lycées), faute d'accès à leurs droits fondamentaux. Ces centres, non seulement sont incapables de mettre à leur disposition le personnel spécialisé éducatif et technique dont la présence est salutaire pour leur intégration scolaire et leur santé, mais ne peuvent plus assurer, en plus, leur ramassage par bus (faute de moyens pour payer le carburant ou entretenir le matériel roulant). Merci Docteur Amine de ta prouesse qui, en ces temps où les droits des personnes handicapées sont bafoués et leur rêve pour une simple scolarisation s'estompe, devrait rappeler aux autorités tunisiennes que notre pays est signataire de la convention internationale des droits des personnes handicapées et de son protocole facultatif qui engagent les Etats à garantir tous les droits pour les personnes handicapées. Merci Docteur Amine de ta superbe distinction scientifique qui devrait interpeller les consciences de tous les hommes et les partis politiques, en exercice du pouvoir actuellement ou dans l'opposition, qui avaient pourtant tous signé le pacte national pour les droits des personnes handicapées le 18 novembre 2014 (c'était la veille des élections!), s'engageant ainsi à garantir ces droits et principalement les plus pressants d'entre deux. Rien n'y fit, c'était de simples et classiques promesses électorales. Merci Docteur Amine d'avoir permis aux Tunisiens de se rendre compte que ni la convention internationale des droits des personnes handicapées, ni son protocole facultatif, ni le pacte national des droits signé par les partis politiques, ni l'article 48 de la constitution tunisienne ne sont aujourd'hui appliqués. Pire encore, les Tunisiens découvrent que les personnes handicapées souffrent d'une marginalisation jamais vécue et que leurs droits ne figurent pas parmi les priorités de l'inclusion socioéconomique. Même un quota pour une représentativité aux élections municipales leur est refusé par le législateur. Merci Docteur Amine, à propos justement du législateur, d'avoir eu le courage de qualifier, dans ta thèse, son attitude, en matière de protection de l'enfant, sur certains aspects, de schizophrène, de par le gap qui existe entre le théorique et la pratique. N'est-ce pas parce qu'au fond de toi-même, tu vis, au quotidien, cette schizophrénie en matière de handicap? Merci Docteur Amine d'avoir eu, par respect pour tes enseignants, l'élégance de taire ta colère d'étudiant handicapé contre l'inaccessibilité physique de ta faculté (y compris la salle où a eu lieu la soutenance de thèse). Tu ne t'en es jamais plaint et Dieu sait le désagrément que te cause la pénibilité. Avec ton courage, ton audace et ton franc-parler, tu aurais pu le dire en ce dernier jour de cursus étudiant, surtout que trois doyens de la faculté font partie de ton jury (dont l'actuel) mais tu as préféré, en étudiant reconnaissant, les remercier, et à travers eux les autres enseignants, de «l'accessibilité humaine» dont ils ont fait preuve tout au long de tes études. Merci Docteur Amine d'avoir été scientifiquement à la hauteur, apte à défendre tes «thèses» (indépendamment du degré de leur véracité) et d'avoir permis aux membres du jury de jouer parfaitement leur rôle d'évaluateurs et qui, à aucun moment, ne t'ont fait sentir qu'ils te «ménagent» ou qu'ils caressent dans le sens du poil par sympathie ou affection à cause de ton Handicap. Merci Docteur Amine et félicitations d'avoir des parents exceptionnels pour qui il est difficile de trouver les mots justes pour qualifier leur amour, leur courage, leur dévouement et leur foi, alors qu'ils vivent dans une société qui, malheureusement, n'accepte pas encore la différence et oublie que le handicap n'arrive pas qu'aux autres! Tes parents sont une véritable école de la vie! Merci Docteur Amine car en te regardant, d'en bas, assis sur ton gigantesque piédestal de chaise roulante, portant et subissant de lourds handicaps avec grandeur et dignité, nous ne pouvons que nous rendre compte de notre petitesse de «personnes normales» ! *Président de la Fédération des associations tunisiennes œuvrant dans le domaine du handicap (Fath)