Le prix Nobel de la paix, la plus belle des distinctions, doit ouvrir de nouvelles perspectives devant un processus encore fragile, renforcer l'esprit consensuel qui a prévalu tout le long de la période du dialogue national, et ressouder l'unité entre les Tunisiens pour faire face aux menaces et aux dangers qui les guettent de toutes parts. Le comité, chargé par le parlement norvégien pour choisir l'heureux élu parmi les 273 candidats au plus prestigieux prix d'Alfred Nobel, a surpris son monde. Contre toute attente et déjouant tous les pronostics, le prix Nobel de la Paix 2015 a été attribué, vendredi 9 octobre 2015, au « Dialogue national tunisien pour sa contribution à la transition démocratique en Tunisie ». Ce prix récompense, selon le comité, les quatre organisations pour « leurs efforts de paix pendant la transition du changement de gouvernement durant le printemps arabe et il est décerné à l'ensemble du Quartet et non à ses membres ». Alfred Nobel avait spécifié dans son testament que le prix Nobel de la paix récompense « la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ». Entendre le combat pour la paix, la liberté, les droits de l'Homme, l'aide humanitaire, le rapprochement entre les peuples, voire les belligérants dans un seul et même pays. Qui aurait parié qu'un jour ce pays, celui que d'aucuns appellent la petite Tunisie, obtiendrait cette prestigieuse distinction. Qui aurait misé sur ce Quartet, à la composition hétéroclite et hybride, formé de l'Ugtt, l'Utica, la Ltdh et le Conseil de l'ordre des avocats, pour recevoir, le 10 décembre 2015, à Oslo, capitale de la Norvège, au cours d'une cérémonie prestigieuse, le plus célèbre des prix portant le nom de leur initiateur. Quelques heures avant l'annonce du « verdict», tout le monde se perdait en conjectures. Et bien que tout pronostic soit délicat voire hasardeux, la plupart des observateurs estimaient que « le comité norvégien devrait braquer la lumière sur les efforts pour le désarmement nucléaire, 70 ans après Hiroshima, ou la crise migratoire qui s'est propagée ces derniers mois en Europe ». Plusieurs noms ont été cités comme la chancelière allemande Angela Merckel, « la bonne samaritaine européenne », le pape François, les chefs de la diplomatie américaine John Kerry et iranienne Mohammad Javad Zarif, ou encore le médecin Denis Mukwege qui soigne les femmes violées dans l'est de la République démocratique du Congo. Mais à aucun moment le nom de notre Quartet n'a été cité. La Tunisie, en dépit de tous les aléas, est en train de réussir sa transition démocratique, engagée juste après le 14 janvier 2011, qui a vu la chute de l'ancien régime de Ben Ali. Et c'est en grande partie grâce aux efforts des quatre organisations nationales qui se sont unies, à un moment difficile, où le pays allait s'enliser dans le chaos suite à deux assassinats politiques, celui de Chokri Belaïd le 6 février 2013 et celui de Mohamed Brahmi le 25 juillet de la même année, qui l'ont fortement ébranlé, pour assurer la conduite d'un dialogue national entre les différents protagonistes. Un dialogue qui a réussi à établir la confiance entre des partenaires, qui se regardaient comme des chiens de faïence, et à traverser une zone de fortes turbulences menaçant la stabilité du pays et son intégrité. Le Quartet est parvenu, contre vent et marée, à imposer aux différentes parties, les partis politiques qui formaient l'opposition et la Troïka au pouvoir, une « feuille de route » qui avait abouti à la démission du gouvernement dirigé par Ali Lareyedh et son remplacement par le gouvernement Mehdi Jomaâ, à l'adoption d'une nouvelle Constitution consensuelle, le 26 janvier 2014, et à l'organisation des élections législatives et présidentielle en octobre et en décembre 2014. Elections qui ont permis, pour la première fois dans l'histoire du pays, une transition pacifique du pouvoir, avec un nouveau président et un nouveau gouvernement. Revigorer le moral des Tunisiens Cette distinction tombe à pic, à un moment où les partenaires d'hier, les deux centrales syndicale et patronale sont en froid. A un moment, également, où le pays est en guerre contre le terrorisme et où l'Etat peine à imposer son autorité. Il tombe à pic pour revigorer le moral des Tunisiens, fatigués par une crise qui s'aggrave de jour en jour et un climat politique et social délétère. L'attentat manqué, jeudi 8 octobre 2015, contre le député de Nida Tounès et président de l'un de plus prestigieux clubs sportifs du pays, Ridha Charfeddine, a ravivé les tensions et ressuscité les démons de la division. Un climat marqué par le doute, la désillusion et la perte de confiance dans les institutions. La Tunisie a traversé des épreuves difficiles, surtout à la suite des attentats du Bardo, le 18 mars 2015, et de Sousse, le 25 juin. Mais en dépit de tout cela, les Tunisiens doivent ressentir beaucoup de fierté, beaucoup d'émotion et beaucoup de joie. Voire d'orgueil. Cette récompense est un message au monde entier, à savoir que ce pays fait exception dans un environnement hostile et qu'il a besoin d'un soutien fort pour achever sa transition et accomplir sa mue démocratique et économique. Le prix Nobel de la paix, la plus belle des distinctions, doit ouvrir de nouvelles perspectives devant un processus encore fragile, renforcer l'esprit consensuel qui a prévalu, tout le long de la période du dialogue national, et ressouder l'unité entre les Tunisiens pour faire face aux menaces et aux dangers qui les guettent de toutes parts. L'espoir renaît dans l'âme de ce pays dont tout Tunisien doit se sentir fier d'appartenir.