Alors qu'ils ont été élus pour représenter le peuple et élaborer la nouvelle Constitution qui devrait répondre aux attentes de toutes les catégories de la société tunisienne, les députés de l'Assemblée nationale constituante (ANC) ne cessent de multiplier les louvoiements et les faux-fuyants à accomplir leurs engagements essentiels. A l'heure où la légitimité des élus du peuple, après la date du 23 octobre est au cœur du débat réunissant politologues, juristes, spécialistes de droit constitutionnel, journalistes et simples citoyens, les manquements aux promesses se font nombreux et remettent en cause cette légitimité si ardemment défendue par nos élus. Au même titre que la fin de leur légitimité électorale, les promesses faites au peuple sont-elles en voie de devenir caduques ? La majorité des partis siégeant à l'Assemblée nationale constituante ont signé le 15 septembre 2011 la « Déclaration du processus transitoire » qui prévoit que le mandat de l'Assemblée constituante n'excède pas une année au maximum « afin que le pays puisse se consacrer aux questions fondamentales impérieuses, notamment, au niveau social et économique ». Un engagement moral et éthique qui remet en cause la légitimité de l'assemblée au-delà de ce délai. Mais qui n'est pas le seul. L'article 6 du décret n°2011-1086 du 3 août 2011 portant convocation du corps électoral pour l'élection de l'Assemblée nationale constituante, stipule que : « L'Assemblée nationale constituante se réunit, après la proclamation des résultats définitifs du scrutin par la commission centrale de l'Instance supérieure indépendante des élections, et se charge d'élaborer une constitution dans un délai maximum d'un an à compter de la date de son élection ». De nombreux députés remettent en cause ce décret aujourd'hui, s'agissant, selon eux, d'une « décision administrative émanant d'un pouvoir illégitime ». Rappelons cependant que ce même décret, rejeté aujourd'hui par nos élus, a lui-même convoqué le corps électoral et permis l'élection des membres de la Constituante qui en rejettent aujourd'hui la légitimité. Autrement dit, seul l'article 6 dudit décret serait jugé « non valable », nos élus n'ayant aucun mal à s'accommoder du reste de ses articles et oubliant qu'ils tirent leur légitimité, justement, de ce décret. Or, juridiquement, tout décret constitue un tout. Le chef du gouvernement Hamadi Jebali soutient que « la légitimité ne peut prendre fin le 23 octobre » et demande même à ceux qui revendiquent la fin des prérogatives de l'ANC à cette date « d'où leur vient cette information ? », ajoutant que « le peuple a choisi en toute liberté d'élire l'Assemblée nationale constituante qui représente la légitimité et qui détermine sa fin ». L'ANC serait donc seule à décider de sa durée limite, étant « maître d'elle-même », un autre leitmotiv des députés qui ne cessent de clamer haut et fort qu'aucun pouvoir n'est au-dessus de celui de l'ANC. Mohamed Abbou soutient que « Celui qui évoque la fin de la légitimité le 23 octobre, souhaite le chaos et l'anarchie dans le pays » et va même jusqu'à justifier le recours à la peine capitale contre « tous les Tunisiens qui sortiraient manifester le 23 octobre, revendiquant la dissolution de l'ANC ». A noter, à ce propos, qu'aucune voix n'a appelé expressément à la dissolution de l'ANC. D'où vient cette information pour les partis au pouvoir ? Il y a juste des appels à accorder, après le 23 octobre, plus de place au processus du consensus et à établir un dialogue autour d'une table ronde en vue de fixer une feuille de route claire et précise quant aux prochaines échéances politiques. Mais si légitimité signifie équité et justice, aujourd'hui, alors que les rapports économiques se font de plus en plus alarmistes et que les diplômés chômeurs crient leur désarroi le long de l'avenue Habib Bourguiba, les élus du peuple s'offrent des parachutes dorés et s'accordent des rentes viagères pour se prémunir contre les risques d'une retraite « frugale » après leur passage furtif à l'ANC. En effet, le projet de loi présenté hier à l'Assemblée et signé par 113 députés, comporte deux articles prévoyant une prime de retraite à la fin de la mission du député, équivalant à 33% de l'ensemble des primes reçues durant l'exercice de ses fonctions à l'ANC, ainsi qu'une rente viagère qui pourrait être cumulée avec la rente obtenue par une caisse sociale. Des mesures, dont ne pourront bénéficier, en vertu de l'article 11 de cette même proposition de loi, que les membres de l'ANC, élus le 23 octobre 2011. Les députés d'Ennahdha, Al Joumhoury et El Massar rejettent aujourd'hui, toute responsabilité et affirment « s'y opposer catégoriquement ». Parmi les 113 signataires de cette proposition de loi, certains déclarent ne pas être au courant du contenu réel du papier signé et précisent avoir apposé leur signature sans même savoir de quoi il s'agit exactement et regrettent avoir été « trompés ». Tromperie des membres de l'Assemblée ou du contribuable qui en subira les conséquences, si toutefois cette loi se fait voter ? Mais les considérations pécuniaires des élus du peuple ne datent pas d'hier. Les rémunérations des membres de l'Assemblée avaient déjà, en mai dernier, enflammé l'opinion publique, indignée de se rendre compte des nombreuses primes et avantages attribués aux constituants et, notamment, ceux appartenant aux circonscriptions étrangères. Ces derniers perçoivent, en effet, un salaire en devises, nettement au-dessus des autres constituants, pour seulement 3 semaines de travail par mois, afin de « voyager dans le but de rencontrer leurs électeurs dans leurs pays d'origine ». Alors qu'ils ont annoncé leur « volonté de se consacrer pleinement au service de l'Etat et de se sacrifier pour l'intérêt du peuple », certains députés semblent aujourd'hui loin de se contenter des salaires des députés sous l'ancien régime de Ben Ali ou encore de ceux des membres de l'ancien gouvernement de transition.de Béji Caïd Essebsi qui comprenait de sommités internationales qui avaient délaissé leur situation et leurs salaires mirobolants, rien que pour servir leur pays pour une mission avant de partir puisqu'ils s'étaient engagés à ne pas se présenter en tant que candidats à la Constituante. L'intérêt du peuple, exprimé lors du vote du 23 octobre dernier, par les électeurs sur la base d'un programme électoral présenté par un parti politique ou une liste indépendante se retrouve, également aujourd'hui, compromis par les nombreux et divers mouvements des élus entre formations politiques différentes, et parfois même, complètement opposées. De nombreux élus de l'ANC opèrent aujourd'hui un changement radical dans leurs orientations politiques et changent de parti, privilégiant de nombreuses considérations, pas toujours dictées par l'intérêt de leurs électeurs. Electeurs qui se retrouvent, quant à eux, représentés par des idéaux et des programmes pour lesquels ils n'ont pas voté et qui ne les représentent pas. Ainsi, un électeur de Brahim Kassass - initialement inscrit sur la liste d'Al Aridhaa – séduit par les promesses présentées à la circonscription de Kébili, retrouve son élu dans les rangs de Nidaa Tounes, présentant un programme complètement différent pour les électeurs de cette région. Une voie que nombreux députés semblent suivre tels que Taher Hmila, Abderraouf Ayadi et bien d'autres encore… Les élus, mandataires du peuple et représentants des citoyens qui les ont élus, n'hésitent pas à qualifier leurs électeurs d' «immatures » et « irresponsables », s'ils n'avalisent pas leurs errements. Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol, avait même déclaré que le bureau politique du parti considérait « toute tentative d'atteinte à la stabilité de la nation et de remise en cause de la légitimité de l'Assemblée nationale constituante et des autorités en émergeant » comme irresponsable. La légitimité de l'Assemblée nationale se rapproche-t-elle de la théorie du droit divin ou est-elle corrélée aux réalisations politiques des élus, qui se doivent de satisfaire les aspirations du peuple ?