La montée des tensions géopolitiques et des perturbations dans les chaînes d'approvisionnement depuis la crise sanitaire et les conflits armés ont débouché sur des changements stratégiques majeurs. Ces changements exigent de repenser les conditions de la sécurité et du modèle de développement de notre région méditerranéenne qui connaît aujourd'hui de grands bouleversements dus aux situations politiques, sécuritaires et socio-économiques Comment répondre aux défis face à ces changements ? Comment gérer les évolutions stratégiques ? Trois changements majeurs, liés entre eux, ont eu des conséquences sur la situation économique et sociale de la région.
Le premier est lié à la mondialisation qui n'a pas engendré le progrès économique et la prospérité espérés de la région. Au contraire, elle a aggravé les inégalités économiques et sociales et même territoriales au sein d'un même pays. Parmi les défis actuels auxquels sont confrontés les pays est celui de répartir équitablement les gains et de rétablir les déséquilibres causés par la mondialisation. Il est important de rappeler que l'ouverture des marchés entraîne des bénéfices et des pertes qui ont un impact sur la répartition de la richesse. Le deuxième changement concerne la stratégie des entreprises européennes vers une nouvelle direction « l'approvisionnement proche » et « le soutien de l'ami ». Comme il a été souligné, la pandémie et les conflits au moyen-Orient et en Ukraine ont entrainé une orientation des entreprises européennes vers une limitation de la dépendance vis-à-vis des pays les plus éloignés géographiquement comme la Chine. Cette dépendance a entrainé effectivement des pénuries dans les chaînes d'approvisionnement et une augmentation des prix. Pour pallier ce problème, ces entreprises européennes cherchent aujourd'hui à s'installer dans des pays selon les deux critères suivants : * L'approvisionnement proche ou « near sourcing » : il s'agit de chercher des pays où le risque de conflit et de pénurie est faible, qui offrent des prix attractifs, des coûts de transport faibles et qui restent à proximité géographique ; * Le soutien de l'ami ou « friend shoring » : il s'agit de choisir des pays amis proches politiquement. * Face à ce changement, l'économie tunisienne possède des atouts et remplit pleinement ces deux critères. Elle dispose une position géographique de premier plan, des avantages concurrentiels et une alliance économique stratégique. En outre, il est possible d'attirer des entreprises chinoises sur notre territoire pour satisfaire le marché européen. La Tunisie pourra jouer un rôle de pivot dans la mise en œuvre d'un projet qui permettra l'implantation d'une zone industrielle chinoise pour desservir l'Afrique et l'Europe. Le troisième changement concerne l'accroissement de la concurrence entre les pays et l'utilisation de plus en plus de l'intelligence économique. Les pays développés adoptent l'intelligence économique pour améliorer leur compétitivité et leur dominance L'intelligence économique (IE) est définie comme la capacité d'un pays à collecter, analyser, diffuser et protéger des informations économiques stratégiques dans l'objectif de renforcer sa compétitivité. Elle repose sur trois piliers : * L'intelligence stratégique qui consiste à connaitre l'environnement géopolitique, économique, technique et législatif pour créer et construire un avantage concurrentiel. L'objectif est de protéger le pays contre les risques d'intrusion, de complot, de manipulation et de pillage des ressources ; * la sécurité économique qui consiste à prévenir et éviter toutes les situations susceptibles de perturber l'activité des entreprises ou des pays en protégeant leurs actifs matériels et immatériels ; * la construction d'une politique publique active qui consiste à nouer des alliances avec des pays qui partagent les mêmes intérêts. L'objectif est de construire une zone d'influence politique et économique et de se positionner comme un acteur dans la régulation des marchés et même de fixer les modes de gouvernance, Dans ce cadre, il est important de redéfinir une coopération régionale basée sur le respect et l'intérêt mutuel. La Méditerranée ne devra pas être perçue comme une barrière, mais plutôt qu'un espace d'échange économique et culturel. Les défis prioritaires pour les deux rives de la méditerranée sont importants. Ils touchent la sécurité, le commerce, l'immigration, l'emploi, la mobilité, l'eau, l'énergie fossile et renouvelable, l'agriculture, le changement climatique etc. La Tunisie pourra profiter de la complémentarité avec les pays européens essentiellement sur trois plans : * Démographique : le vieillissement en Europe contre la jeunesse de la population en Tunisie ; * sociale : pénurie de de main-d'œuvre en Europe contre chômage en Tunisie ; * énergétique : besoin d'énergie en Europe contre vaste potentiel d'énergies renouvelables en Tunisie.
*Professeur d'économie à l'Ecole Supérieure des Sciences économiques et commerciales de Tunis (ESSEC)