À 23 jours de la date de l'élection présidentielle, prévue pour le 6 octobre prochain, le Réseau tunisien des droits et des libertés a organisé, vendredi 13 septembre 2024, une manifestation afin de protester contre la situation politique et d'appeler à la défense et à la préservation des droits et des libertés. Ils étaient près de 3000 personnes à avoir participé à la manifestation dans un climat politique plus que tendu. Ils ont répondu à l'appel du réseau, tout récemment formé, par treize associations et neuf partis politiques. Pour les organisations, il s'agit de la LTDH, le collectif Soumoud, le SNJT, le FTDES, l'UGET, la Dynamique féministe (comportant huit associations), l'ATFD, I-Watch, Intesection, ONDCE, Femmes et Leadership et Bayti. Quant aux partis, il s'agit du Parti des Travailleurs, Al Massar, Afek Tounes, Ettakatol, le Parti Socialiste, Al Qotb, Al Jomhouri, Attayar et le Parti Social-Libéral. A l'annonce de la manifestation du vendredi, les cercles proches du régime ont tout fait pour dénigrer cette coalition, l'accusant, entre-autres, de traitrise et de collaboration avec les forces étrangères. Une campagne avait été lancée pour dissuader les Tunisiens de participer à la marche, mais en vain. Les intimidations n'ont pas eu raison de ces jeunes et moins jeunes qui ont déferlé dans les rues de la capitale, pour exprimer leur ras-le-bol, leur colère et pour lancer un cri de liberté. La manifestation a pris comme point de départ la place de la République (communément appelée Passage). Une foule bigarrée s'était mise en branle dans une ambiance à la fois fébrile et joyeuse. Alors que le pays vit sous le joug de l'arbitraire et que le pouvoir a resserré son emprise sur toutes les composantes de la scène politique et civile, ce rassemblement était une occasion cathartique pour dire haut et fort leur opposition à ce qu'est advenue de la Tunisie sous le régime du 54-juillet. Pourquoi le 54-juillet et non le 25 ? C'est l'un des slogans qui a été brandi fièrement pour faire le lien entre la date du coup de force présidentiel et le décret-loi 54 liberticide à travers lequel le pouvoir emprisonne les dissidents. Tout en portant pancartes et en scandant les slogans, les gens discutaient beaucoup entre eux. On évoquait librement et à pleine voix le climat politique étouffant, la peur, les vagues d'arrestations, le muselage des médias, le non-respect des décisions du tribunal administratif… On s'indignait des manœuvres liées à l'élection présidentielle, l'exclusion indignes de candidats et l'arrestation du candidat Ayachi Zammel. Les participants étaient enthousiastes de partager leurs appréhensions, mais surtout de se sentir entourés par des gens qui résistent encore, qui luttent pour des valeurs communes indépendamment des couleurs politiques. « Nous ne nous tairons pas ! », ont-ils hurlé à l'unisson avec en arrière-plan, pour marquer la cadence, les fracas des tambours. Mais parmi ces contestataires, entre agents en uniforme et en civil, la présence policière était imposante, limite exagérée. Un vieux monsieur de passage a murmuré ironiquement, en voyant la scène, ces quelques mots : « S'ils se mettaient en ligne, ils franchiraient la barre du million ! ». Quelques minutes après le départ de la manifestation, un partisan du président de la République, Kaïs Saïed est sorti de nulle part pour insulter les gens et les traiter de tous les noms. Un exemple édifiant de la fracture qui secoue la société tunisienne, alimentée par des discours haineux envers les opposants. Mais rien ne pouvait ébranler les manifestants qui continuaient d'avancer en scandant leurs slogans ouvertement hostiles au pouvoir, même pas ce policier qui lisait les pancartes et rapportait dans son talkie-walkie : « Ils ont écrit fasciste et fight ». Entre roulements de tambours et sifflets, la masse prenait de plus en plus de taille et celle de la police aussi dans une ambiance électrique. Les jeunes étaient survoltés et n'hésitaient pas à lancer des invectives contre la police, le président, la ministre de la Justice et les responsables du régime. Mais tous ces cris ne réclamaient au final qu'une chose : la liberté ! Près du tribunal administratif, la foule a sifflé les responsables de l'instance électorale et son président Farouk Bouasker dénonçant avec force les actes de l'Isie.
Progressivement, le nombre de manifestants augmentait à l'arrivée à l'avenue Habib Bourguiba. « À bas le décret, à bas le geôlier du peuple, à bas le président », « Liberté pour les prisonniers politiques », « À bas la dictature ! », « Heyla Leblad, oppression et arbitraire ! », « Pas de peur, pas de terreur, le pouvoir appartient au peuple », « À bas l'Etat policier », « On ne gardera pas le silence face aux flagorneurs du régime ! » …. Tout autant de slogans scandés par ces Tunisiens qui refusent de se taire. Il était presque 18h quand la marche débarquait sur l'avenue emblématique de la capitale. Avenue Bourguiba, tout un symbole. Et c'est là qu'ont fusé les « Dégage ! ». La foule se mouvait vers le bâtiment abritant le ministère de l'Intérieur en lançant ces « Dégage ! », comme un lointain souvenir d'un certain 14-Janvier. Les forces de l'ordre ont su garder leur calme. Nous n'avons pas remarqué de signes de répressions, hormis quelques bousculades lorsque certains manifestants ont voulu traverser les barrières pour manifester en face du siège gris. À ce moment, des responsables sécuritaires s'adressaient à leurs subalternes en leur criant « un sans-faute, un sans-faute », signe que des ordres ont été donnés pour qu'il n'y ait pas de débordements. La police a ainsi permis le passage de la manifestation jusqu'à l'intersection entre le Théâtre municipal et l'hôtel Africa. C'est à cet endroit où la marche s'est achevée une heure après, sur des slogans toujours contestataires et empreints de courage, au vu de la situation.
Photos de Marwen Shili Manifestation couverte par Hassen Khemakhem