A un mois jour pour jour de l'élection présidentielle, rien de ce qui fait une période électorale ordinaire ne peut être constaté sous nos cieux. Ni pluralité, ni campagnes, ni débats, ni propositions, ni programmes, ni candidats qui sillonnent le pays pour convaincre les électeurs, ni médias sur le pied de guerre ni de journalistes qui couvrent et analysent les déclarations des candidats. Rien de tout cela n'existe. Rien d'ordinaire. En lieu et place, l'ambiance est au doute et à l'appréhension. Après un travail de sape ces dernières années, où la justice a été mise au pas, les partis politiques matés et plusieurs leaders arrêtés, les médias et la société civile harcelés…, le terrain était bien préparé pour ce qui se passe actuellement.
Hécatombe pour les nombreux prétendants à la magistrature suprême. Les candidatures ont été rejetées à tour de bras par l'instance électorale, qui s'est assurée en amont de bien compliquer les procédures. Les candidats les plus coriaces, ceux qui ont tenu tête, s'étaient tournés vers le tribunal administratif seule institution habilitée à trancher dans les litiges électoraux. Sauf que l'Instance dite indépendante pour les élections a refusé d'appliquer les décisions du tribunal réhabilitant trois candidats. Tollé général, débat juridique, mais au final la décision de l'Isie passera par la force du pouvoir. Sur les trois candidats restants et retenus par cette même instance, l'un se trouve en prison et l'autre est visé par une instruction judiciaire. Sans surprise, le seul qui n'a aucun déboire est le président-candidat, qui continue d'accuser ses adversaires de traitrise dans l'impunité.
L'histoire de Zouhair Maghzaoui est encore floue, mais ce qui est certain c'est que ses critiques envers l'instance électorale lui ont valu des pressions et une enquête en cours. Pour ce qui est de Ayachi Zammel, c'est un feuilleton de mauvais goût qui défile depuis le jour où il a été retenu candidat. Pourtant, en le retenant dans la liste préliminaire puis définitive, l'Isie admettait que le monsieur était en règle et qu'elle avait vérifié en amont ses parrainages et autres procédures. Ayachi Zammel ne fait pas aujourd'hui le tour des médias et des régions tunisiennes pour exposer son programme électoral. Ayachi Zammel fait le tour des postes de police, des bureaux des juges d'instruction, des tribunaux, des geôles et des prisons. Voilà ce que le candidat Ayachi Zammel est occupé à faire, croupir en prison. Arrêté le jour de la proclamation de la liste définitive (2 septembre), un mandat de dépôt est rapidement émis à son encontre. Le tribunal de la Manouba décide de le libérer (5 septembre), mais il est arrêté de nouveau à sa sortie de prison. Conduit à Jendouba, il comparait devant le juge et un nouveau mandat de dépôt est émis (6 septembre).
Une situation tragicomique qui ne laisse aucun doute sur la mascarade en cours. Une situation qui jette tout de même la confusion dans les rangs des électeurs. Faut-il boycotter ou participer massivement au scrutin du 6 octobre ? En analysant froidement le déroulement des événements, il est clair que les jeux sont faits et que rien n'empêchera un seul résultat possible. La justice administrative piétinée, la justice judiciaire domptée, tous les obstacles ont été abattus. Voter serait donc donner de la légitimité à un processus biaisé depuis le début et dans ses moindres détails. Beaucoup admettent qu'il ne s'agit que d'un simulacre, mais rechignent à rester dans l'inaction, à subir et à être dépossédés de leur droit au vote, durement acquis. Beaucoup invoquent le pouvoir du changement par les urnes et estiment qu'il faut se déplacer massivement pour inverser la situation comme cela a été vu lors des élections anticipées en France. Cependant, les conditions ne sont pas les mêmes et les garanties démocratiques, de transparence et d'intégrité sont inexistantes. Le dilemme que vivent de nombreux Tunisiens en ce moment est compréhensible. Il reste à savoir si les deux candidats choisis pour faire de la figuration aux cotés du candidat-président décideraient de se retirer de la course.