Comme attendu, Farouk Bouasker, président de l'instance des élections a annoncé le 10 août les candidatures retenues pour l'élection présidentielle du 6 octobre 2024. Il s'agit bien entendu du président sortant Kaïs Saïed, du président du mouvement panarabe « Echâab », Zouhair Maghzaoui et du candidat surprise qu'on n'attendait pas le président du mouvement « Azimoun », Hechemi Zammel. Trois candidats seulement alors que plus de cent personnes ont annoncé leur intention de candidater et que lors des élections présidentielles précédentes de 2014 et 2019 on a enregistré la participation de 26 et 27 candidats. Il faudrait revenir vingt cinq ans en arrière pour trouver une élection présidentielle avec trois candidats.
À l'occasion de l'élection présidentielle de 1999, la troisième de son règne, l'ancien président Zine Abidine Ben Ali a décidé de mettre en place un décor plus démocratique pour faire taire les critiques à l'encontre de son régime. Il a encouragé deux de ses « opposants » à se présenter contre lui et à jouer les comparses. Il s'agit de feu Mohamed Belhaj Amor, président du parti de l'unité populaire (PUP), qui était dans une position de soutien critique du régime de Ben Ali et qui a vu dans ces élections une ouverture démocratique à saisir. L'autre candidat était Abderrahmen Tlili, président de l'union démocratique unioniste (UDU). Fils du leader syndical Ahmed Tlili, Abderrahmen était membre du comité central du parti au pouvoir le rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) jusqu'au jour où il a été mandaté de quitter son parti politique et de créer le lendemain même un nouveau parti politique unioniste arabe, l'UDU, immédiatement reconnu par le pouvoir. On rapporte même qu'au cours de l'un de ses meetings de campagne, le candidat Abderrahmen Tlili avait appelé à soutenir le président-candidat Ben Ali. Le résultat de ce simulacre d'élection démocratique et plurielle est sans équivoque : Abderrahmen Tlili a récolté 0.23% des voix, alors que Mohamed Belhaj Amor en avait récolté 0.32%, ce qui l'a poussé à prendre sa retraite politique. Quant à Zine Abidine Ben Ali, il a tout simplement raflé 99.45% des suffrages exprimés.
Un quart de siècle plus tard, l'Isie de Bouasker joue la machine à remonter le temps et met le pays dans la même configuration que l'élection présidentielle de 1999 : un président omni-présent, candidat à sa propre succession et qui se donne le droit de choisir qui sont les conspirateurs et qui sont les honnêtes gens (alsadiqun) et deux candidats qui ne sont pas réellement dans l'opposition et qui acceptent de jouer les figurants. Maghzaoui et son mouvement Echâab se sont inscrits depuis 2019 dans un soutien total au président de la République, et même s'ils commencent à peine à émettre quelques critiques à caractère économique et social, ils n'ont jamais remis en question leur choix stratégique de soutenir Kaïs Saïed. Au cours de sa campagne électorale, le candidat Maghzaoui devrait se trouver un don de funambule pour appeler les citoyens à voter pour lui tout en exprimant son soutien au président-candidat à sa propre succession. Quant au candidat Hechemi Zammel, c'est un transfuge du parti Tahya Tounes de l'ancien chef de gouvernement Youssef Chahed qui a rallié la dynamique du 25 juillet 2021 et a crée son propre mouvement Azimoun. Dans sa quête de visibilité, il semble prêt à tout accepter.
Cette sélection des candidatures annoncée par l'Isie fait bien les choses. Même si on ne le dit pas, souveraineté nationale oblige, les deux candidats retenus, Maghzaoui et Zammel jouent le rôle d'alibi démocratique à merveille. Etant tous les deux des dirigeants de mouvements politiques reconnus, ils s'érigent, consciemment ou à leur insu, comme des brise-lames face aux critiques contre le pouvoir de Kaïs Saïed concernant son mépris des structures intermédiaires et son refus de coopérer avec les partis politiques et les organisations de la société civile. Quant aux résultats de cette élection présidentielle, sauf imprévu, on s'oriente vers une configuration similaire à celle de 1999 : une élection présidentielle à un tour et un plébiscite du président sortant.