Les dangers de la manipulation par le verbe : une leçon de l'Antiquité à nos jours Gorgias, maître incontesté de l'éloquence dans l'Antiquité, captivait les foules par la puissance de ses mots. À l'opposé, Socrate, inébranlable dans sa quête de vérité, fut condamné à mort sur la base d'accusations fallacieuses. Son procès, une parodie de justice, met en lumière les dangers d'une parole mal employée. Acceptant stoïquement son sort, Socrate but la ciguë, laissant derrière lui une leçon intemporelle. Ce procès nous enseigne que toute démocratie peut être détournée par ceux qui maîtrisent l'art de la persuasion, manipulant les mots et les foules pour leur propre intérêt. Platon nous avait déjà mis en garde contre les périls de la démocratie, pouvant dégénérer en tyrannie entre les mains de personnes mal intentionnées. Les défis contemporains des démocraties Les démocraties ne se portent pas bien, c'est une évidence. Le taux d'abstention en est le symptôme le plus visible, mais il est loin d'être le seul. Les discours et autres actes populistes plaisent aux foules, ils sont relayés par des experts en communication et des médias aux ordres, sans éthique. La manipulation des faits lors de la guerre à Gaza est un cas d'école. Pour le commun des mortels, il devient quasiment impossible de distinguer le vrai du faux. Le complotisme et le doute s'installent, votre vérité contre la mienne. Sur les réseaux sociaux la parole ou l'image sont devenues des armes, chacun pouvant s'exprimer sans filtre, transformant les opinions fantasques en vérités apparentes. Une fracture numérique s'est installée sous nos yeux en quelques années. Elle creuse les écarts au sein d'une même société, entre les jeunes et les vieux, les personnes éduquées et celles qui ne le sont pas, entre les riches et les pauvres, entre le simple citoyen et les partis politiques, ou encore les énormes multinationales qui sont souvent bien plus puissantes et riches que les états et à l'échelle internationale entre les pays du nord et ceux du sud. C'est l'un des défis les plus importants de notre époque pour tous les pays du monde. Les réseaux sociaux, entre de mauvaises mains : un danger pour la démocratie L'essor des réseaux sociaux est particulièrement pernicieux pour les démocraties. Pour quelles raisons Elon Musk a-t-il déboursé 50 milliards de dollars pour acheter Twitter devenu X ? Et pourquoi Donald Trump a-t-il créé sa propre plateforme et quel rôle joue Mark Zuckerberg ? A-t-il façonné de près ou de loin une partie de l'opinion publique mondiale ? Et nous ne sommes probablement qu'au début d'une nouvelle révolution, avec la généralisation des algorithmes et de l'Intelligence artificielle (IA) qui sont déjà présents à chaque connexion. Nous assistons passifs à ce qui conditionne notre avenir. Dans ce monde dominé par ces plateformes commerciales, toute réflexion aussi sérieuse soit-elle est détournée, étouffée dans l'œuf. En effet, ces plateformes sont avant tout commerciales, la pseudo-liberté d'expression qu'elles offrent est le fonds de commerce des fortunes colossales qui y ont été bâties. Tout est fait pour privilégier le sensationnel, le punch line, trois lignes pas plus au-delà on perd le vis-à-vis. Nos sociétés ont été prises de court, elles n'ont pas eu le temps de mettre en place des mécanismes de protection contre les manipulations, les attaques ad hominem, les fausses informations. Les utilisateurs des réseaux sociaux ont été des proies faciles. Que d'actes terroristes ont été commis à la suite d'un embrigadement sur les réseaux sociaux ! Moins dramatique, mais non moins grave la manipulation des faits L'instantanéité est la règle d'or, transformant les discussions en affrontements sans nuances. Structurellement, les réseaux sociaux favorisent la propagation de fausses informations. Pas le temps de vérifier sa véracité que déjà l'information a fait le tour du monde. La formation de bulles de filtrage, où les gens qui pensent de la même façon se retrouvent, joue un rôle d'amplificateur. Des approximations et des contre-vérités sont reprises sans modération, transformant les débats en affrontements stériles. Ces modes de communication ont favorisé la polarisation politique. Une vidéo de trois minutes, des extraits de débats clivants et de positions extrêmes et le tour est joué. L'affirmation sans nuance d'une opinion sape la confiance dans les institutions internationales et les experts. La gestion de la pandémie COVID en est une illustration dramatique. Des puissances étrangères et non des moindre ont même été impliquées dans la diffusion de fausses informations lors de campagnes électorales. La nécessité de retrouver la nuance Tout n'est pas noir et l'accès à l'information, les échanges à l'échelle internationale sont une chance extraordinaire, mais justement la préservation de cette liberté qu'offrent ces plateformes impose de trouver des mécanismes pour éviter les dérives. Toutes les opinions sont respectables, mais l'usage actuel des réseaux sociaux doit être revu. Beaucoup de régimes autoritaires ont comme toujours essayé soit d'utiliser les réseaux sociaux pour intoxiquer l'opinion publique, soit à l'inverse ont interdit ou bloqué l'accès à ces réseaux. Evidemment ce n'est pas la bonne approche. En revanche, alerter et appeler à une prise de conscience sociétale est urgent. Il faut rappeler quelques principes simples pour arriver à des solutions qui seront toujours imparfaites, mais auront au moins le mérite de combler le vide actuel. Pour qu'il y ait information et échanges constructifs, il est essentiel que chaque interlocuteur reconnaisse la dignité de l'autre. Les réseaux sociaux, dans leur instantanéité, privilégient les confrontations et la violence verbale, l'anonymat faisant le reste. Il est essentiel de nous protéger et de rejeter ce mode de fonctionnement et de créer un environnement où chaque individu peut se sentir valorisé et impliqué dans la construction d'un environnement serein propice à la réflexion. Retrouver la nuance est essentiel pour préserver la qualité des échanges et la santé de nos relations. En reconnaissant la validité des opinions divergentes, nous ouvrons la porte à un dialogue constructif et à des solutions créatives. Sur le plan personnel, cela apaise nos émotions et cultive une perspective plus équilibrée. Il est crucial d'enseigner la pensée critique et l'analyse de ce que nous recevons d'où qu'il provienne dès le plus jeune âge. En effet, retrouver la nuance signifie être ouvert à la diversité des opinions, tout en gardant un esprit critique et en cherchant à comprendre la logique de l'autre, celui qui nous agace et dont les messages nous interpellent. En fin de compte, retrouver la nuance est la meilleure façon de lutter contre la dérive sur les réseaux. C'est un moyen de préserver le débat démocratique, de favoriser la compréhension mutuelle et de construire un monde plus tolérant et harmonieux. Refusons de faire le jeu des puissances affichées ou occultes qui tentent de nous utiliser. Face à une époque où la nuance est souvent reléguée au second plan, prenons le temps de l'embrasser et de la cultiver. C'est une urgence collective et une nécessité personnelle qui méritent notre attention et notre engagement.