Il y a des jours comme ça. Tu te lèves le matin, l'humeur morose et le moral dans les talons. Tu as mal dormi la nuit parce que des images ont hanté ton esprit avec une seule question : pourquoi ? Une question à laquelle tu ne trouves pas de réponse, du moins une réponse convaincante, claire et objective. Puis, tu paniques parce que tu prends conscience que ton pays sombre dans l'arbitraire et le non sens. Voici quelques images de mon pays. Quelques images qui hantent mon esprit de journaliste, m'empêchent de dormir la nuit et me sapent le moral. Mon collègue et ami le chroniqueur Mohamed Boughalleb a vu sa peine s'alourdir en appel et passer de six à huit mois de prison dans l'affaire de la fonctionnaire du ministère des Affaires religieuses. Auparavant, la cour avait interdit aux journalistes de suivre le procès. Peut-être qu'elle ne voulait pas leur montrer, et donc ne voulait pas montrer à l'opinion publique tunisienne, le fossé énorme qui sépare la réalité des faits qui exige un non-lieu, ou au pire une peine non privative de liberté, du verdict liberticide prononcé. Le ministre en question a été limogé pour des faits relevés en partie par le journaliste. Mais ce journaliste ne doit en tirer aucune gloire. Au contraire, il doit être puni pour avoir fait son travail en dehors des sentiers tracés au préalable par le pouvoir. Message reçu même s'il reste au travers la gorge. Mon ami le journaliste Mourad Zghidi est incarcéré depuis plus de cinquante jours pour « nothing » et RIEN. Je connais Mourad comme j'ai connu son grand père, sa grand-mère, ses oncles paternels et maternels, son père et sa mère. Ils sont tous des patriotes et de grands militants. Ma conviction, c'est que Mourad a été dans cette affaire, victime de sa généalogie. Est-ce sa faute s'il repose sur une histoire riche alors que d'autres ont passé leur vie sans histoire et dans l'anonymat le plus total ? Les trois émissions d'actualité politique de la mi-journée sur les trois radios les plus écoutées du pays (Mosaïque, Diwan et IFM) ont tiré leur révérence. Est-ce une surprise ? Absolument pas. Depuis plusieurs mois déjà les pressions sur les médias, leurs patrons et leurs journalistes sont devenues insupportables. Le pouvoir en place a décidé de mettre au pas le secteur des médias. Il a malheureusement réussi. Il n'y a qu'à voir le contenu de l'agence TAP, de la télévision et des radios publiques pour juger de la régression de l'espace de la liberté de la presse dans le pays. Est-ce profitable pour le pays ? Absolument pas. Ce n'est profitable ni pour le pays, ni même pour le pouvoir lui-même à moins de quatre mois de l'élection présidentielle. Bâillonner les médias encouragera les Tunisiens à migrer vers les médias étrangers. Ils l'ont fait du temps de Bourguiba et de Ben Ali. Ils le feront sous Kaïs Saïed d'autant que les moyens technologiques sont devenus quasi incontrôlables. Ce ne sont là que quelques images qui hantent la nuit du journaliste que je suis (corporatisme dites-vous). Mais d'autres images de mon pays se bousculent dans ma tête tout au long de la journée et harponnent ma conscience. Il y a toutes ces femmes de mon pays qui se trouvent actuellement en prison (Chadha Belhaj Mbarek, Abir Moussi, Meriem Sassi, Sonia Dahmani, Saadia Mosbah et Cherifa Riahi). Dans un pays démocratique, ces femmes auraient été toutes auréolées pour leurs actions en faveur du pays. Il y a aussi l'image des prisonniers dans l'affaire dite du complot contre l'Etat qui sont privés illégalement de leur liberté. Je connais beaucoup d'entre eux et je suis convaincu qu'ils ne peuvent pas trahir leur pays. Même l'image de Rached Ghannouchi me perturbe l'esprit. Je ne préjuge pas de sa culpabilité, ni de son innocence. Mais je n'arrive pas à admettre qu'un homme de son âge reste en prison alors qu'il y a moyen de le mettre en résidence surveillée. Quatre vingt deux ans n'est pas un âge pour mettre quelqu'un dans une cellule. L'acharnement n'a rien à voir avec la justice. J'arrête. J'ai besoin d'un cachet d'aspirine.