Les mouvements Islamistes ne cessent de lutter pour préserver leur contrôle et domination de certains territoires. La réélection de Recep Tayyip Erdoğan à la tête de la Turquie a fourni un petit boost moral et politique à ces mouvements qui perdent de leur influence. En Tunisie, les islamistes ont tout fait pour en faire un événement national. Recep Tayyip Erdoğan a été élu, le 28 mai 2023, pour la troisième fois consécutive à la tête de la Turquie. Alors qu'il était Premier ministre, il remporte la présidentielle de 2014, puis celles de 2018 et de 2023. On pourrait dire qu'il se rapproche petit-à-petit du dictateur modèle. Mais, il ne s'agirait, dans ce cas de figure, que d'une analyse trop simpliste. Les scores affichés aux élections de 2014 et 2018 indiquent une victoire au premier tour certes, mais les taux sont respectivement de 51% et 52,6%. En 2023, M. Erdoğan passe par un deuxième tour puisqu'il ne réussit pas à convaincre dès le premier tour. Il obtient 52,16% des voix. Avec ces chiffres, Recep Tayyip Erdoğan réussit à préserver une image de démocratie turque croyant en un modèle islamiste moderne puisqu'il est le représentant et leader du Parti de la justice et du développement (AKP). Ce parti, créé par Erdoğan, adopte une pensée conservatrice et nationaliste. Il est le successeur du Parti du bien-être qui avait été dissous après avoir été jugé extrémiste par la cour constitutionnelle turque. Depuis la création de l'AKP, Recep Tayyip Erdoğan affirme être du côté d'un modèle laïque et rejette les accusations d'islamisme et de conservatisme. Néanmoins, il s'exprime, parallèlement, contre l'avortement ou l'homosexualité. Sous sa présidence, les programmes éducatifs sont révisés. On supprime la théorie de Charles Darwin et on introduit la notion de djihad. Il réprime, également, les journalistes et les écrivains. Sur le plan international, Recep Tayyip Erdoğan tient à faire de son pays un joueur majeur de la région voire du globe. La Turquie est impliquée dans la quasi-totalité des sujets liés à la géopolitique et aux débats internationaux. Si elle n'est pas actrice directe, elle est citée comme exemple. Recep Tayyip Erdoğan a préservé la place de son pays au sein de l'Otan dont la Turquie fait partie depuis 1952. Malgré cela, il n'hésite pas à se chamailler avec ses alliés et les membres de la sphère dans laquelle la Turquie se trouve. Il émet des remarques hostiles à l'Union européenne et à certains de ses membres et n'hésite pas à placer son pays au cœur d'une crise avec son voisin grec. Erdoğan oscille entre soutien et opposition au projet politique et du bloc de l'ouest. La Turquie a soutenu Daech et a œuvré pour la chute de Bachar El Assad allant jusqu'à se transformer en un point d'entrée sur le territoire syrien. Les passeurs et les groupes et organisations terroristes forment un gigantesque réseau entre la Libye, la Syrie et la Turquie. Le régime de Recep Tayyip Erdoğan a collaboré de près avec le Qatar pour soutenir les factions islamistes. Cette politique a, bien évidemment, était saluée, voire applaudie, par Ennadhah et autres organisations tunisiennes islamistes. La Turquie se place du côté occidental et face à un régime syrien soutenu par la Russie. La Tunisie a accueilli la première Conférence internationale des amis de la Syrie qui a eu pour objectif de soutenir les opposants de Bachar El Assad. L'événement a été critiqué et qualifié de trahison de la Syrie et de soutien au terrorisme par les opposants à l'islam politique. En Libye, Recep Tayyip Erdoğan formait, au début, une alliance avec le Qatar s'opposant aux alliés des Emirats arabes unis, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte. La Libye se transforme en véritable bataille idéologique entre deux groupes politiques arabes. Actuellement, la Turquie soutient le gouvernement de Abdulhamid Dabeiba. Ce dernier est considéré pour certains comme un produit 100% turc et 100% islam politique. Ce gouvernement est hostile aux extrémistes, mais n'est pas contre un projet similaire à celui d'un Etat musulman moderne souvent évoqué par Ennahdha et autres organisations politiques similaires. D'ailleurs, Ennahdha, ses leaders et ses soutiens ont tout fait pour exprimer leur joie quant à la victoire de Recep Tayyip Erdoğan à l'élection. Le parti a félicité, par communiqué, le leader turc. La page officielle de Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, a relayé le communiqué qualifiant la victoire de "historique" et de "symbole d'une démocratie forte". Une fausse affirmation, selon plusieurs experts, dont l'expert en affaires libyennes, Ghazi Moalla. Dans une déclaration accordée à Business News, l'analyste a estimé qu'il s'agissait d'une victoire de l'une des facettes de la démocratie turque. Il s'agit d'un bon point pour le monde arabe puisque le pays a organisé des élections transparentes, mais que le régime d'Erdoğan n'est pas un régime démocratique au vrai sens du mot. « Recep Tayyip Erdoğan va conforter ses alliances… Il s'agit d'alliances très importantes notamment celles avec le Qatar, l'Algérie et la Libye… Le véritable but est de trouver une source d'hydrocarbures… Sur le plan régional, la concurrence entre la Turquie et l'Arabie Saoudite s'accentuera… Il s'agit des deux grands pays sunnites de la région… Pour la Tunisie, il n'y aura pas de grands changements… Le régime tunisien n'est pas prêt à collaborer avec le régime turc », a-t-il ajouté. Ghazi Moalla a expliqué que l'éviction d'Ennahdha du pouvoir et l'emprisonnement de ses leaders avaient fortement impacté la présence turque en Tunisie. Depuis le 25 juillet 2021, la Turquiea perdu de son influence. Il a estimé que le scénario de la médiation de l'Algérie dans un débat entre les deux pays était peu probable. Il a conclu que la réélection d'Erdoğan n'aura pas d'impact sur la Tunisie. La même conclusion a été tirée par le diplomate et ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmed Ounaies. Interrogé par Business News sur l'impact de la victoire de Recep Tayyip Erdoğan, Ahmed Ounais a indiqué que le président turc était fidèle au parti Ennahdha. « Pour lui, il n'y a pas de nation ou de drapeau tunisien, mais un parti islamiste… Ce n'est pas un homme d'Etat… Il ne voit pas loin », a-t-il dit. Ahmed Ounais a considéré que Recep Tayyip Erdoğan continuera à appliquer la même politique axée sur un conservatisme et un nationalisme plaçant en tête l'intérêt suprême de la Turquie. Il a considéré que cette politique-là faisait d'Erdoğan un leader incapable d'œuvrer sur le long-terme. M. Ounais a insisté sur l'absence d'impact pour la Tunisie. La politique nationaliste de Recep Tayyip Erdoğan et l'absence d'entente entre lui et le chef de l'Etat, Kaïs Saïed, pourrait nous mener à dire que la Tunisie ne fait pas partie des priorités d'Ankara. Notre pays ne représente pour la Turquie qu'un petit marché économique qui lui permet d'écouler sa marchandise. Les importations depuis ce pays vers la Tunisie ne cessent d'augmenter alors que nous n'exportons presque rien vers cette destination. Sur le plan diplomatique, Recep Tayyip Erdoğan n'arrive même pas à joindre les autorités tunisiennes et il n'existe pas de canaux de communication entre lui et Carthage. On dirait que pour Kaïs Saïed, Recep Tayyip Erdoğan est inexistant ! La joie des islamistes quant à sa victoire n'est qu'un moyen d'exprimer leur gratitude à ce qui leur reste comme alliés dans le monde. De plus, ceci leur permet de garder espoir et de rêver d'un nouveau projet regroupant frères musulmans et démocratie (ou ce qui semble l'être) en Tunisie. D'ailleurs, les islamistes sont les seuls à aborder le sujet et à en faire un événement majeur du week-end. L'opinion publique ne semble pas de cet avis. Que Recep Tayyip Erdoğan soit réélu ou non, ne change rien à la donne. L'islam politique est pour le moment un projet bien enterré.