L'Etat serait-il dos au mur à tel point qu'il tente de percevoir son impôt en avance. C'est ce qui semble être le cas pour le secteur de la distribution de gros des boissons alcoolisées. Pire, la Direction d'impôt projetterait d'engranger cinq fois le montant des impôts sur le bénéfice dû à ces sociétés en avance ! Non, ce n'est pas une blague de mauvais goût. Dans le projet de la Loi de finances 2023, une des mesures viserait à exiger, aux entreprises précitées, une avance sur l'impôt sur les sociétés équivalant à 5% du montant de leurs achats auprès des industriels. Concrètement, le montant réclamé représente cinq fois leur impôt sur le revenu, qui est de l'ordre de 0,85% des achats.
L'Etat veut engranger cinq fois l'impôt qu'il doit à ces sociétés. Et il envisage de les percevoir en avance. « Une mesure qui va conduire à une cession de payement de ces entreprises et à leur faillite », a affirmé le président la Chambre syndicale nationale du commerce de gros des boissons, relevant de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica), Hamdi Dami dans une déclaration à Business News, mardi 20 décembre 2022. À titre d'exemple, M. Dami a précisé que certaines sociétés du secteur réalisent des achats de l'ordre de 50 millions de dinars (MD) par an. Chacune de ces entreprises devra payer au trésor une avance de 2,5 MD alors que l'impôt de chacune serait de 0,425 MD et le bénéfice net de 0,375 MD. La différence entre l'impôt exigé annuellement et l'impôt payé réellement serait de 2,125 MD, un montant faramineux pour ces entités. Il faudra qu'elles fassent des demandes de restitution, ce qui représentera beaucoup de démarches et des mois d'attente, l'Etat n'ayant pas restitué plus de quatre milliards de dinars aux entreprises tunisiennes. Autre chose importante, ces mêmes sociétés sont devenues éligibles à la retenue à la source en 2022 comme le secteur pharmaceutique, alors qu'elles en étaient exonérées depuis 2004 : la retenue est appliquée sur le montant TTC et le remboursement se fait sur le montant net.
Seule solution de crise à ces sociétés est une hausse des prix très conséquente. En effet et pour réaliser le bénéfice qu'exige le gouvernement, les distributeurs en gros devraient augmenter leur prix de plus 40%. Une hausse à laquelle se refuse le secteur, étant conscient des enjeux. Mais l'augmentation s'imposerait, si la mesure venait à passer dans la Loi de finances 2023, afin de faire face à la réalité économique, auquel cas ce serait la banqueroute assurée. « Etant donné l'état des finances publiques, nous sommes prêts à payer sur chaque facture, le bénéfice qui échoit, avant même que la marchandise arrive aux étales, avant qu'elle ne soit vendue et avant même d'être payée. Mais, le montant global doit être inférieur ou égal au montant des impôts à payer et non pas cinq fois supérieur, afin que les sociétés du secteur puissent survivre », a martelé Hamdi Dami à Business News, en rappelant que seules les sociétés de distribution de gros des boissons alcoolisées ont été visées par ces meures et qu'elles font suite à une série de hausses ayant visé la vente de ces produits depuis 2011.
En outre, le président la Chambre syndicale nationale du commerce de gros des boissons a estimé que'une augmentation des prix de vente va léser une « bonne proportion de la population tunisienne », consommatrice de ces produits et qui n'y aura plus accès. Pire, le responsable craint les répercussions. Pour lui, ces personnes vont se fournir auprès du marché parallèle (qui ne paye carrément pas d'impôt, ndlr), ou en alcool frelatée (qui a déjà fait plusieurs victimes dans le pays notamment dans les rangs des plus défavorisés, ndlr) ou carrément va se diriger vers d'autres substances illicites comme les drogues.
M. Dami estime que l'Etat porte atteinte à un secteur organisé et structuré, en le marginalisant et en ouvrant la porte à des produits illicites et en privant d'Etat de ressources dont il a besoin. L'Etat va participer à la prolifération d'un marché parallèle qui représente déjà 50% du marché. Il a rappelé, dans ce cadre, que la chambre a proposé des solutions pour l'éradication du marché parallèle, ce qui permettrait au trésor public d'engranger plus de recettes. Parmi ces propositions, l'octroi d'autorisation de vente de détail d'alcool pour les supérettes et épiceries. Il a aussi rappelé que lorsque l'ancien ministre des Finances, feu Slim Chaker, avait baissé les droits de consommation des spiritueux, l'Etat avait multiplié par cinq ou six ses recettes perçues des droits de consommation dans ce secteur. Il a aussi précisé que les droits et taxes collectés par le secteur sont d'environ 920 MD hors impôts sur les sociétés. D'où, l'importance du secteur.
Hamdi Dami a par ailleurs attiré l'attention sur les graves répercussions sur le secteur touristique, mais aussi sur d'autres secteurs comme les restaurants touristiques, les bars, les boites de nuits et les hôtels, notamment en ce qui concerne la formule all inclusive, qui était vendue à un prix très compétitif. Le responsable a affirmé que la chambre désire discuter avec les autorités de tutelle, de leur soumettre leurs propositions. L'objectif étant de trouver une solution qui conviendrait à tous. Il a indiqué que la chambre a envoyés deux courriers, l'un à la ministre des Finances et l'autre à la cheffe du gouvernement, mais, qui sont restés sans réponse. Certes, l'Utica a remonté les revendications à la ministre des Finances lors d'une réunion à propos du projet de la Loi de finances 2023, cependant et selon des sources de bonne foi, l'avance qui était initialement de 10% des achats a baissé de 5%, un montant qui demeure conséquent pour le métier et qui pourrait conduire à sa disparition pure et simple.