Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Article 21 de la Constitution
Une nouvelle fois, le sujet revient sur le tapis, celui des FCR (Franchise pour changement de résidence), ce régime spécial accordant un avantage fiscal aux Tunisiens résidant à l'étranger. Le sujet fâche et il y a de quoi, car ce régime a été dénaturé et est devenu un commerce. Le « FCR » se vend au marché noir à plusieurs milliers de dinars. L'utilisation de ce privilège a même évolué vers un commerce parallèle qui se tient au vu et au su de tout le monde avec des boutiques vendant des voitures de luxe. Des boutiques devenues un formidable outil de blanchiment d'argent. Le gouvernement de Youssef Chahed a réduit l'hémorragie grâce au décret gouvernemental n° 2018-236 du 13 mars 2018, mais voilà qu'un agent de la douane est venu le remettre sur le tapis, vantant dans la foulée, une proposition de loi déposée au parlement. La proposition de loi en question est là pour accorder de nouvelles faveurs fiscales aux Tunisiens de l'étranger et, par là, redonner vie au commerce parallèle du FCR.
Qu'est-ce que le FCR ? Il s'agit d'un privilège fiscal délivré aux Tunisiens ayant résidé à l'étranger plus de deux ans, pour l'importation d'un véhicule. Grâce à ce privilège, le coût d'une voiture peut revenir 50% moins cher et même davantage. Ce régime date de l'époque de Habib Bourguiba. Il s'agissait (et il s'agit encore) d'encourager nos émigrés à rentrer au pays et à y investir leurs devises. Zine El Abidine Ben Ali a élargi le privilège dans la même optique, mais aussi pour des raisons électorales et propagandistes. En 2020, voilà qu'un député est venu remettre le sujet sur le tapis pour accorder de nouveaux privilèges au FCR. Le député en question, Yassine Ayari, est élu sur les listes des Tunisiens de l'étranger. Il s'agit de l'une de ses promesses électorales et il tient à la respecter. Depuis quelque temps, il est en train de promouvoir son projet le présentant comme une faveur jamais accordée à nos émigrés. Et il trouve du répondant et des lobbyistes comme ce douanier sorti à la télévision pour faire la propagande de cette proposition de loi. Pourtant, force est de rappeler que ce même Yassine Ayari, au lendemain de la révolution, criait sur tous les toits qu'il faut en finir avec tout le système Bourguiba - Ben Ali et aplatir tous les privilèges accordés à des Tunisiens et pas à d'autres. Mais comme il a besoin de séduire ses électeurs, ses paroles de révolutionnaire sont oubliées.
A voir de près, et en attendant l'installation d'une cour constitutionnelle pour trancher, osons avouer et dire tout haut que le régime FCR est contraire à la Constitution. Pire, il est une corruption politique. Il s'agit d'accorder un privilège à des Tunisiens et pas à d'autres dans l'optique d'obtenir leurs faveurs. C'est ainsi que Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali l'ont conçu. Ils ont donné une carotte à nos émigrés pour que ces derniers votent pour eux. Cela s'appelle de la corruption. Officiellement, pour bien vendre le projet, on nous dit que les Tunisiens font rentrer beaucoup de devises. Accordons alors, puisque c'est comme ça, le même privilège aux entreprises exportatrices !
Qu'il n'y ait pas d'homme politique suffisamment courageux pour retirer aux Tunisiens de l'étranger cet avantage, cela se comprend. Que Yassine Ayari cherche à perpétuer cette corruption qui ne dit pas son nom, cela n'étonne guère. Mais qu'un douanier sorte pour en faire la propagande, et camoufler la réalité des choses, cela devient grave. L'article 21 de la constitution énonce que les Tunisiens sont égaux en droits et en devoirs. En accordant un privilège à des Tunisiens et pas à d'autres, cela rend les Tunisiens inégaux en droits. Le FCR est exactement cela. Pourquoi donc les Tunisiens autochtones n'ont pas les mêmes droits que leurs concitoyens vivant à l'étranger ? Pourquoi les Tunisiens qui alimentent les caisses de l'Etat avec leurs impôts n'ont-ils pas les mêmes droits que leurs concitoyens qui paient leurs impôts à d'autres pays ? Pourquoi des Tunisiens doivent subir un euro à 3,25 dinars, des droits de douane, des droits de consommation et une TVA à 19%, alors que d'autres échappent à tout cela sous prétexte qu'ils ont vécu deux ans à l'étranger ? C'est injuste et la révolution était venue pour mettre fin à toutes les injustices. Sur le papier du moins.
Il est impossible, et également injuste, de retirer un privilège à nos concitoyens de l'étranger. Au lieu de faire bénéficier tous les Tunisiens des mêmes privilèges et de militer pour cela, notre député et son douanier propagandiste sont là pour élargir le fossé entre les Tunisiens. Au lieu de travailler pour réduire les droits de douane et de consommation pour les Tunisiens autochtones, et favoriser ainsi leur pouvoir d'achat, notre député et son ami douanier cherchent à favoriser les uns au détriment des autres. Quelque part, qu'on le veuille ou pas, il faut bien que quelqu'un paie les faveurs accordées aux Tunisiens de l'étranger. Et ce quelqu'un est le Tunisien autochtone qui paie ses impôts. Trop, c'est trop. Notre député est en train de perpétuer le système instauré par Bourguiba et confirmé par Ben Ali, celui de la corruption politique d'un pan de la population.
Les Tunisiens de l'étranger sont des Tunisiens comme les autres. Il est temps que l'on applique la constitution à la lettre et que l'on considère comme égaux en droits et en devoirs tous les Tunisiens. Il est temps que l'on loge tous les Tunisiens à la même enseigne. Il est temps que l'on en finisse avec le FCR et que l'on réduise les droits de douane et les droits de consommation à tous les Tunisiens et pas à un pan de la population seulement. Il est temps que l'on mette le holà à ces politiques qui donnent à leurs électeurs des carottes payées de nos poches. C'est de la corruption, c'est anticonstitutionnel, basta !