A la lumière de la crise politique que vit le pays et des signes de l'effondrement économique et social que vit le monde après la pandémie du nouveau coronavirus, dans une situation régionale très tendue accentuée par les conflits partisans qui ont atteint leur paroxysme, je pense qu'il est nécessaire, pour nous tous, de nous arrêter pour méditer et d'assumer nos responsabilités si nous voulons une opportunité sérieuse pour sortir de ce tunnel. Les indicateurs que nous avions annoncés en début de semaine dernière d'une baisse de la croissance de 6,5% et d'un déficit budgétaire de 7% iront immanquablement vers le pire si nous considérons les risques sérieux d'aggravation de la crise sanitaire mais surtout au vu du flou politique et du manque de visibilité gouvernementale et parlementaire.
Je l'ai dit et je le répète, la crise du Covid-19 a été le coup de grâce qui a achevé ce qui reste du modèle de développement dont les bases ont été dressées dans les années 70 du siècle précédent.
Mais ce que nous constatons aujourd'hui, c'est que le système politique actuel, avec ses composantes constitutionnelle, juridique et institutionnelle, est impuissant face à la crise politique que traverse le pays depuis novembre 2019 et aux affrontements partisans qui éclipsent les institutions de l'Etat.
La Tunisie a besoin d'une profonde évaluation des implications de la situation actuelle et d'une véritable trêve politique et sociale durant laquelle on se propose de réajuster l'actuel système politique et de mettre en œuvre d'un programme urgent pour endiguer l'hémorragie économique et sauver ce qui peut l'être afin d'épargner au pays les répercussions d'une explosion sociale imminente.
Le gouvernement actuel a adopté cette vision au moins dans son volet économique, mais n'a pas pu se donner suffisamment de temps pour la mettre en exécution, pour plusieurs raisons qu'il est inutile de rappeler.
Nous avons vécu une expérience unique et difficile sur le plan politique et humain, au cours de laquelle nous avons mis de côté nos appartenances, au cours de laquelle nous avons essayé de gérer seuls la décision d'imposer le confinement et ses conséquences, avec réalisme et responsabilité. Le succès de l'équipe et la préservation de la sécurité des Tunisiens étaient notre seul objectif.
Aujourd'hui, alors que nous entamons une nouvelle étape, je voudrais exprimer mes remerciements et ma reconnaissance à tous les collègues qui ont atteint le rang d'amis, à ceux qui sont restés et à ceux qui sont partis, car je sais avec certitude qu'aucun d'entre eux n'a épargné un effort pour servir la Tunisie et les Tunisiens.
Aujourd'hui, nous nous apprêtons à former un nouveau gouvernement, pour la quatrième fois en l'espace de six mois, dans une atmosphère politique et sociale chargée qui flore l'implosion. L'espoir qui nous reste d'épargner au pays le danger du chaos, c'est de reconnaître qu'il est impossible de continuer sur cette voie, et que l'état de morcèlement politique qui prévaut dans le pays depuis plus de neuf mois, nous conduira inévitablement à la destruction de l'Etat.
La seule issue pragmatique à venir est que le prochain mandat soit un « mandat de salut national», accompagné d'une trêve politique et sociale, basée sur trois fondements :
* « Sauver le régime démocratique » menacé par une forte régression au vu de la paralysie des institutions de l'Etat et de la stérilité du système électoral. Je m'adresse ici principalement au président de la République, garant de la stabilité du pays et de la continuité des institutions de l'Etat. La situation appelle aujourd'hui, et de toute urgence, un dialogue national qui rassemble tous les partis politiques, les organisations nationales et les acteurs de la société civile. Un dialogue pour évaluer le système politique au cours des dix dernières années, élaborer une feuille de route « rectifiant la trajectoire » qui inclut le système électoral et les fondements constitutionnels du travail des institutions de l'Etat ainsi que la révision d'un ensemble de lois qui régissent le travail des acteurs politiques et leurs relations les uns avec les autres. Seule la présidence de la République peut être le lieu de rencontre d'un dialogue constructif permettant de définir les traits de réforme politique du système démocratique choisi par les Tunisiens en 2011. * Un « gouvernement de salut national » ouvert à toutes les forces politiques qui souhaitent le soutenir, un gouvernement restreint (ne dépassant pas vingt portefeuilles, sans secrétariats d'Etat), formé de compétences non partisanes, dirigé par une figure nationale non partisane, qui se dissocie de tous les partis et des tensions dominantes au sein de l'Assemblée. Cette équipe gouvernementale doit s'engager à ne pas se présenter aux élections à venir, et se voit confier un mandat de pas moins de deux ans pour mettre en œuvre le plan de sauvetage économique et social dont les contours sont devenus clairs pour toutes les parties prenantes et qui a manqué jusqu'à ce jour des conditions appropriées pour être réalisé. * « Un dialogue national global sur le plan quinquennal 2021-2025» en vue de sa présentation à l'Assemblée durant le premier semestre de 2021, afin que tous les acteurs politiques, économiques et sociaux soient impliqués dans l'élaboration du nouveau modèle de développement économique de la Tunisie et la définition des axes stratégiques de l'économie tunisienne à la lumière des bouleversements qu'a connus le monde. En tant que ministre et homme politique imprégné de la réalité des chiffres, mais surtout en tant que citoyen Tunisien, je fais appel au patriotisme et à la conscience de tous les intervenants dans les affaires nationales : Epargnons la Tunisie !
Nos différences et nos différends ne doivent pas primer sur un constat évident, l'unité de notre destin, car le déluge à venir ne saura distinguer nos couleurs politiques, quelles que soient leurs teintes. L'absence actuelle de visibilité et l'état d'instabilité qui sont devenus la seule constante de la vie politique en Tunisie menacent les fondements du contrat social et la stabilité de l'Etat, alors de grâce... Epargnons la Tunisie !
*Selim Azzabi, ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale. Le texte a été traduit de l'arabe par Business News