Après une semaine de ruptures et un week-end de silence, le Dialogue national, l'Assemblée constituante et le gouvernement offrent un même constat de captivité. Lundi 11 novembre. Les Tunisiens se réveillent sur plus d'un non-événement. Point de date fixée pour une reprise du Dialogue. Aucune avancée sur la feuille de route. Prolongement de l'impasse dans une ANC amputée de son opposition et des députés du parti de son président. Sursis indéfini pour le gouvernement de coalition. Dans l'opinion, le sentiment de crise, d'impasse et de vision embrouillée installé depuis plus de trois mois vient de laisser place à un constat lucide de captivité. « C'est tout le processus démocratique qui est pris en otage», laissent entendre des juristes et des politologues réunis vendredi à Tunis autour du projet de Constitution. Cette conscience de plus en plus aiguë du fait que la transition soit devenue l'otage passif de ses institutions directement et indirectement élues, ils l'expliquent par l'emboîtement des crises dans le piège insidieux de la légitimité. Deux ans que cette succession de crises dure, qu'est-ce qui cale vraiment en ce lundi ? Dialogue national : suspension d'une première épreuve de démocratie. Dans une dernière déclaration donnée samedi au quotidien Echourouk, le secrétaire général de l'Ugtt, Houcine Abassi, a traduit l'opacité qui règne sur l'avenir du Dialogue national une semaine après sa suspension suite au désaccord des partis sur le choix du futur chef du gouvernement. Précisant que les candidatures de Mohamed Ennaceur et Ahmed Mestiri allaient être définitivement rejetées du fait qu'elles se trouvent au centre des tiraillements partisans, il s'est retenu d'avancer une date de reprise des négociations. « Le dialogue reprendra après les consultations avec les différentes parties participantes», a-t-il vaguement indiqué. En revanche et pour la première fois depuis qu'il préside l'initiative du Quartet, le leader syndical s'est départi de sa détermination inconditionnelle pour le dialogue et sa réussite. « L'Ugtt détient un scénario de substitution permettant de gérer la période à venir, en cas d'échec du consensus. Toutes les parties devront faire face à leurs responsabilités envers le peule tunisien», a-t-il notamment averti. Tout est dit. Rien n'est dit. Le sort du dialogue est plus incertain que jamais. Présenté comme une solution — in extremis — de sortie de crise, entrouvert comme une brèche sur le consensus, le dialogue a fini, d'ajournement en suspension, par s'offrir comme un objectif en soi, comme une alternative unique entre la dérive du processus démocratique et la perspective d'une explosion de colère et d'un retour à la rue. Cette solution est-elle aujourd'hui compromise ? Juste suspendue, comme première épreuve de démocratie devant l'impossible consensus, répondent les plus optimistes. Constitution, Isie, régime politique... Quelle assemblée tranchera ? C'est que le Dialogue n'est pas totalement épargné par les déboires d'une Assemblée dont la majorité ne voit dans la solution consensuelle qu'une rivalité à sa souveraineté absolue et fera tout pour ne pas entériner ses fragiles accords. Le récent amendement de son règlement intérieur et les dernières reconfigurations de ses groupes parlementaires autour des ailes les plus légitimistes et les plus radicales de l'échiquier politique porteront le coup de grâce à l'esprit même du Dialogue comme alternative à la légitimité. Car, en tant qu'institution légitime et souveraine, l'ANC n'a pas réussi sa mission. Dans les faits, elle n'aura été qu'une couverture légale pour piéger la bataille des libertés dans l'étau du débat identitaire et religieux. En dépit des accords, des concessions et des révisions, la future constitution cale encore et toujours au niveau de dispositions de la plus grande importance : le futur régime politique que la majorité continue d'imposer comme une copie de l'actuelle configuration des pouvoirs, la neutralité politique des mosquées que la majorité refuse, les dispositions transitoires taillée à ses ambitions... Les droits économiques et sociaux sont réduits à l'extrême et la place des régions est à peine évoquée. Pour nombreux spécialistes, en multipliant ses prérogatives (contrôle du gouvernement, législations et constitutions) et en décrétant la politique de la « feuille blanche », l'ANC n'a fait que consacrer la confusion entre l'Etat et le parti au pouvoir. A l'heure où les chronos devaient se mettre en marche pour adopter une version acceptable de la constitution et préparer les élections, le refus des nouveaux groupes proches de la majorité de toute intervention des experts s'inscrit dans cette logique. De même que l'application du « pouvoir discrétionnaire absolu » dans le choix des candidats de la future Isie et qui lui vaudra l'arrêt du tribunal administratif... Gouvernement : un nouveau sursis Au nom de quelle légitimité « renouvelée » et à quel prix, l'ANC devra-t-elle désormais achever la constitution, désigner les membres de l'Isie, adopter un code électoral et choisir un régime adéquat pour le pays ? Il n'y a pas un seul député, un responsable politique, un constitutionnaliste ou un politologue pour y répondre. « Face à des acteurs aussi irrationnels, toute prospection devient périlleuse», analysait récemment le politologue Hamadi Redissi. L'usure de la légitimité de l'ANC n'a d'égale que l'usure du pouvoir du deuxième gouvernement de la coalition. Usure qui a nourri davantage la mainmise sur les institutions (administration, justice, police, médias) qu'une réelle volonté de les réformer et d'apporter des solutions à la crise économique. Près de cinq mille nominations, à majorité proche du parti Ennahdha, est le bilan tangible et quantifiable de deux ans de pouvoir transitoire... En l'absence des institutions et des lois, le sort de la transition démocratique est plus que jamais soumis aux mesures hégémoniques. Jusqu'où ? Après un engagement à démissionner à la fin du mois d'octobre trahi par sa liaison fatale avec les processus gouvernemental et constitutionnel de la feuille de route, un nouvel appel à démissionner avant le 15 novembre vient d'être lancé au gouvernement par les représentants du Front du salut national. Un nouveau sursis qui rejoint, par-delà les ponctuations, les propos du parrain du Dialogue quant au scénario de substitution que détiendrait la centrale syndicale.