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Abdelaziz Kacem: À la recherche d'un humanisme perdu
Publié dans Leaders le 19 - 04 - 2024

Par Abdelhafidh Harguem - Dès les premières pages du nouvel essai d'Abdelaziz Kacem, À la recherche d'un humanisme perdu, paru aux Editions Leaders, nous sommes enclins à nous demander si «le passeur infatigable» entre les deux rives de la Méditerranée n'a pas cédé à la résignation face à tant de clivages et de dissensions dans un monde en plein dérèglement. A-t-il perdu totalement espoir dans la sagesse des hommes, gagné peut-être par le doute quant à l'issue de ce dialogue des cultures encore balbutiant entre Orient et Occident dans lequel il s'est longtemps investi avec autant de foi que de ferveur ? Question qui ne cesse de nous interpeller au fil des pages et à laquelle nous avons hâte de trouver une réponse, sachant cette vocation de «passeur» qu'il s'est évertué à cultiver aussi bien à travers ses nombreux essais que dans sa foisonnante production poétique dans les deux langues qu'il maîtrise à la perfection, celles d'Al Jahiz et de Molière.
L'y prédisposaient, à vrai dire, outre son bilinguisme teinté d'une prédilection notoire pour les valeurs qu'inspire l'humanisme, une solide formation littéraire acquise à la faveur d'une lecture assidue des œuvres majeures du patrimoine universel, de l'antiquité jusqu'à nos jours, ainsi qu'une large connaissance de l'histoire de l'aire méditerranéenne dans ses moindres recoins.
...À l'heure où j'écris, un tsunami est en train de tout emporter. Le 7 octobre 2023, les Palestiniens, par une opération hardie, ont humilié Tsahal. Cette armée, dont on dit qu'elle est invincible, réagit en soumettant, depuis lors, deux millions trois cent mille Gazaouis affamés, assoiffés et traités «d'animaux», à un bombardement intensif, n'ayant épargné ni hôpitaux, ni écoles, ni lieux de culte, ni équipements collectifs. L'enclave est aux deux tiers détruite, des dizaines de milliers de victimes. Plus de la moitié sont des enfants. Crime de guerre, crime contre l'humanité ! Barbarie ! Oui, mais Israël ne peut que cela. Cependant, sans le soutien matériel et politique massif des Etats-Unis et du Royaume-Uni, leur supplétif, l'Etat hébreu ne serait jamais allé jusqu'à ces extrémités. À défaut d'un vidage massif de Gaza par une nouvelle Nakba, les extrémistes du sionisme religieux, qui ne s'en cachent pas, ont décidé d'exterminer littéralement l'ensemble de la population. C'est la solution finale, Yahvé l'exige. C'est, dans leur esprit, pour autant qu'ils en aient un, une œuvre pie, un acte de foi que de parachever l'épuration ethnique mijotée par les pères fondateurs du sionisme, depuis plus d'un siècle...
Ce qui nous autorise à croire d'emblée à cette résignation, c'est ce «réquisitoire» dans lequel se lance l'auteur dans l'avant-dire contre la France, l'Europe occidentale dans son ensemble, à quelques exceptions près, et l'américanosphère, de façon générale, pour leur soutien massif à Israël, qui livre, depuis l'humiliation subie par son armée, le 7 octobre 2023, une guerre génocidaire contre le peuple palestinien aussi bien à Gaza qu'en Cisjordanie occupée, au motif que l'Etat hébreu «a le droit de se défendre».
Abdelaziz Kacem voit en fait dans ce positionnement, à tout le moins malencontreux, un blanc-seing donné à ce dernier pour exterminer tout un peuple et conserver ses territoires occupés censés constituer le futur Etat de Palestine.
Dans le cas précis de «la patrie des droits de l'homme», l'auteur n'exprime pas seulement un point de vue personnel mais se fait aussi l'écho d'un sentiment de déception et d'amertume largement répandu dans les pays arabes au sein desquels, du simple citoyen au plus haut dirigeant, en passant par l'intelligentsia, on ne cesse de s'interroger, face aux errements actuels de la diplomatie française, où est passé ce fort accent gaullien, qui différenciait la politique de Paris du reste du monde à l'égard des causes arabes et notamment la cause palestinienne.
Dans ce réquisitoire, les organes d'information en Europe en général, et en France en particulier, n'en sont pas moins pris à partie par l'homme des médias et l'ancien enseignant à l'Institut de presse et des sciences de l'information en Tunisie, qui s'indigne à juste titre de leur manque d'objectivité et de rigueur dans la couverture de la tragédie de Gaza, leur seul souci étant de chercher à tout prix une condamnation du Hamas et une légitimation de la riposte israélienne même si elle tourne à une nouvelle «solution finale» dont la victime n'est autre cette fois-ci que le peuple palestinien.C'est par ce biais qu'Abdelaziz Kacem entame méthodiquement «une réflexion sereine sur l'état de délabrement où se trouve l'enseignement du français en Tunisie, et sans doute, dans d'autres pays africains et arabes» ainsi que sur les retombées de «cette débâcle» sur la Francophonie. Ainsi part-il à la recherche de ce «nouvel humanisme» que le mouvement incarnait aux yeux de Bourguiba; conception qu'il fait sienne avec force conviction.
La nostalgie d'une Francophonie longtemps euphorisante qui donnait à ses adeptes des deux rives du Mare nostrum «le sentiment d'appartenance à une communauté solidaire» le conduit tout au long des douze chapitres que compte le livre à explorer, par-delà les aléas d'une histoire souvent tumultueuse, marquée par les soubresauts sanglants de la décolonisation, «une sagesse» ou mieux encore les grands symboles de la «chose franco-arabe», expression forgée par le grand orientaliste Jacques Berque lors de l'agression tripartite contre l'Egypte en 1956 et qui «désigne l'ensemble des affinités et accointances... qui lient le Machreq et le Maghreb à l'Hexagone».
Le sort du bilinguisme en Tunisie sert d'entrée en matière à l'auteur qui dresse de prime abord un triste constat : «notre école a cessé de former ces élites bilingues qui ont fait faire au pays des bonds considérables en avant sur la voie du progrès. Pis encore, le système éducatif semble ne plus faire que de faux bonds.» Pour étayer ses dires, il rappelle la calamiteuse interview accordée, en 2012, par le chef du gouvernement islamiste à la chaîne française TV5 et dont les quelques mots prononcés péniblement en français furent émaillés de risibles barbarismes. Il en veut aussi pour preuve la baisse continue du niveau des jeunes dans les deux langues, à telle enseigne que l'on est tenté de croire qu'ils sont devenus étrangers à leurs langues.
Abdelaziz Kacem en vient ensuite à convier le lecteur à découvrir l'historique de l'école classique dont il est lui-même issu. À cet égard, il ne manie pas l'histoire avec des pincettes en s'armant de courage pour reconnaître à Louis Machuel (1848-1922), «ce personnage emblématique du Protectorat» et brillant arabisant, le rôle éminemment important qu'il a joué en tant que premier directeur général de l'Instruction et des Beaux-Arts dans la création d'écoles et la propagation du savoir en Tunisie dès 1883.
À Jacques Berque, autre arabisant français, chantre de la vieille «alliance de la France et du monde arabe», et islamologue hors pair, Abdelaziz Kacem rend un hommage appuyé à la mesure de la stature exceptionnelle de ce «parent implicite», «défenseur insigne du monde arabe» et «compagnon de tous les combats pour la liberté, la connaissance, la reconnaissance».
Evénement majeur et controversé dans l'histoire Orient/Occident, la campagne d'Egypte (1798-1801) tient une place de choix dans le livre. L'auteur en fait un récit captivant où la petite histoire a le plus souvent la part belle. Faisant pièce à la thèse qui n'entrevoit dans cette expédition menée par le Général Bonaparte que son aspect purement militaire, il s'attache à en souligner les retombées fort positives au plan culturel et scientifique pour l'Egypte, qui ne tardera pas à entrer de plain-pied dans l'ère de la Nahda (renaissance). Tahtâwi sera, à son retour de Paris, l'une des figures de proue de ce courant réformateur qui enfantera d'illustres adeptes dont particulièrement la poétesse polyglotte May Ziadé (1886-1941) et le grand écrivain et penseur Taha Hussein (1889-1973).
Après cet agréable et fort instructif intermède historique, Abdelaziz Kacem ne perd pas le fil de ses idées pour évoquer de nouveau les questions du bilinguisme et de l'école en Tunisie. Il commence par brosser un portrait saisissant de Bourguiba, ce «pur produit de l'école franco-arabe» qui, tout en ayant une relation intime avec la langue française, était parfaitement bilingue. À l'aube de l'indépendance, note l'auteur, il a résolument opté pour le maintien de l'enseignement franco-arabe hérité du Protectorat, moyennant retouches et réajustements.
Abdelaziz Kacem critique sévèrement la réforme entreprise en 1958 par Mahmoud Messadi, autre parfait bilingue et brillant écrivain, qui a succédé au poste de ministre de l'Education à Lamine Chebbi. Dans ses Mémoires, ce dernier regrette que la durée des études primaires ait été ramenée de 7 à 6 ans avec un horaire hebdomadaire total de 130 heures contre 210 précédemment et que la 7e année au secondaire ait été supprimée, Bourguiba ayant voulu «hâter la scolarisation totale des enfants de la Tunisie, mais il se heurtait à l'exiguïté des finances tunisiennes». L'auteur y perçoit un péché originel ayant entraîné la détérioration, au fil des ans, de l'état de l'éducation nationale, aujourd'hui «secteur sinistré» et «édifice saccagé». Il dénonce par ailleurs « le faux procès de l'arabisation » fait à l'ancien Premier ministre et ministre de l'Education Mohamed Mzali, congédié par Bourguiba le 8 juillet 1986.
Au surplus, il déclare ne pas voir l'utilité de l'actuelle consultation sur la réforme de l'enseignement, estimant qu'il eut mieux valu revenir aux consultations précédentes pour en extraire les suggestions les plus pertinentes et les proposer aux réflexions des experts. «Toute consultation qui n'entérinerait pas le bilinguisme dans notre système éducatif est, au mieux, une perte de temps, au pire, un jeu dangereux», ajoute-t-il.
Ce bilinguisme vivement prôné par Kacem s'inscrit, convenons-en, dans le droit fil de la politique de Bourguiba, l'un des fondateurs de la Francophonie dont il a fait «un choix stratégique de civilisation pour mener à bien son pari de la modernité». Or comment cette francophonie, jadis prometteuse, se porte-t-elle aujourd'hui ? Continue-t-elle à cimenter autour d'une langue commune «ce lien de parenté qui dépasse en force les liens de l'idéologie»? À ces questions il répond sans détour, affirmant qu'elle n'est pas au meilleur de sa forme et que cela nécessite un diagnostic approfondi.
Poursuivant son exploration de «la chose franco-arabe» à la quête d'une «parenté refoulée», Abdelaziz Kacem nous emmène dans le Midi où «les Sarrasins ont donné leur nom à nombre de rues, de places, de lieux-dits, de castels» et «où les légendes populaires regorgent d'événements où ces hommes venus du sud se montrent à la fois cruels et magnanimes». C'est dans les villes et villages de cette région française que les Arabes ont laissé, selon Gustave Le Bon, cité par l'auteur, «des traces profondes dans la langue et dans le sang».
Dans un chapitre intitulé «Heurs et malheurs de l'arabe en France», Abdelaziz Kacem évoque les heures de gloire de l'enseignement de la langue de Jahiz en France. «L'agrégation d'arabe en Sorbonne était un titre prestigieux…et l'on reste ahuri de voir cette langue trahie passer, subrepticement, de la fascination à l'indifférence, puis de celle-ci à la répulsion.»
Aussi, afin de rappeler au bon souvenir des deux communautés «les liens du sens et des sens» qui les unissent, dresse-t-il l'inventaire des mots que le français a empruntés à l'arabe avant de nous gratifier, en guise de conclusion, d'un sonnet «quelque peu surréaliste» où tous les mots, à l'exception des particules, sont exclusivement d'origine arabe.
Dans ce livre qu'on lit avec passion et délectation, comme le souligne, dans la préface, l'ancien ministre de l'Education, Hatem Ben Salem, Abdelaziz Kacem donne la pleine mesure de son érudition, toujours fidèle à sa vocation de passeur entre les deux rives, même s'il semble cette fois-ci gagné par le découragement, comme l'atteste cet extrait: «Homme des deux rives, tout autant que mes maîtres et amis, Jacques Berque ou André Miquel, j'ai tout essayé, par le biais de la littérature comparée, pour réunir au large d'une même mer, Ulysse et Sindbad; dans la même eschatologie, Maari, Dante et Milton ; dans la même mystique, Ibn Abbad de Ronda et Jean de la Croix ; dans la même folie d'amour, Majnoun, Tristan, Werther et le Fou d'Elsa.»
Il ajoute: «J'ai de plus en plus le sentiment d'assister, impuissant, à l'agonie du bilinguisme. J'ai le sentiment de me battre, le dos au mur, dans l'hostilité croissante des ténèbres imperméables à nos vacillantes lumières. Je me pose une question cruciale : en 2050, parlerons-nous français encore ?».
C'est là une vaste et judicieuse question qu'il importe d'appréhender avec tout le sérieux requis, tant en Tunisie que dans l'ensemble de l'espace francophone ; car il y va, à n'en point douter, de l'avenir même de cette belle langue.
À la recherche d'un humanisme perdu
de Abdelaziz Kacem
Editions Leaders, mars 2024,
240 pages, 35 DT
Disponible en librairies et sur
www.leadersbooks.com.tn
Abdelhafidh Harguem
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