Le paysage politique de la Tunisie post-révolutionnaire vit actuellement au rythme d'une vive controverse juridico-politique suscitée par la date du 23 octobre 2012, comme délai-butoir pour l'élaboration de la Nouvelle Constitution. Juristes, politologues et membres de l'Assemblée nationale Constituante (ANC) ont exprimé leurs opinions sur la question, alimentant ainsi le débat sur les lignes de démarcation à établir entre "légalité" et légitimité" dans un contexte de transition démocratique. S'appuyant sur une lecture littérale des décrets-lois et des lois régissant la première période transitoire, dont, le décret-loi portant l'élection des membres de l'ANC, qui prévoit l'élaboration de la nouvelle Constitution dans un délai n'excédant pas un an à compter de la date de l'élection de la Constituante, les partisans de cette thèse estiment que le 23 octobre 2012 est sans doute la date-butoir pour la fin de la légalité constitutionnelle des institutions l'Etat (Constituante-gouvernement-présidence). En contrepartie, ceux qui sont hostiles à cette thèse s'appuient sur une lecture finaliste des textes régissant le 2ème étape transitoire, notamment, la loi constitutive portant organisation provisoire des pouvoirs publics,"mini-constitution". Aux yeux des partisans de cette opinion, la légalité des institutions constitutionnelles sera maintenue jusqu'à l'élaboration de la nouvelle constitution et la mise en place des institutions constitutionnelles (Parlement et président élus). Une telle interprétation laisse entrevoir que la date du 23 octobre n'est pas "impérative" et que la condition suspensive pour la fin du mandat de la Constituante est bien l'élaboration de la nouvelle Constitution. Afin de résoudre cette polémique juridico-politique,plusieurs initiatives ont été avancées dont celle de M.Mansour Maalla "expérience de la coalition 18 octobre" et du parti centriste "Al-Majd" "18 octobre pour l'unité nationale". Entre partisans et hostiles au respect de l'échéance du 23 octobre, intervient une troisième interprétation dite "consensuelle", défendue par la majorité des membres de la Constituante. Ceux-ci sont unanimes à croire qu'il ne s'agit pas d'une "crise" constitutionnelle proprement dite et que cette opinion est "dénuée de tout fondement juridique solide", de même qu'elle véhicule des retombées sur la stabilité politique et sociale du pays. Interrogé par l'Agence TAP sur la question, Le constituant Habib Kheder (Ennhahda) a affirmé que parler d'une éventuelle "crise juridique" après le 23 octobre n'est qu'une "fausse polémique", soulignant que les dispositions régissant l'organisation provisoire des pouvoirs publics sont "explicites" sur la question et ne prêtent pas à équivoque. Il ne peut y avoir de "crise juridique" à l'expiration de cette date, a-t-il assuré, affirmant que le texte de la loi constitutive est clair sur ce point. Il est communément admis que la "mini-constitution" autorise de manière expresse à l'assemblée Constituante de poursuivre sa mission jusqu'à l'élaboration de la nouvelle Constitution et la mise en place des institutions de l'Etat, a-t-il encore rappelé. Du point de vue politique, il est du droit de chaque partie d'exprimer librement son opinion sur la question, a-t-il fait valoir. De son côté, le Constituant Slim Abdesselem (Ettaktoul) a mis en garde contre les dangers inhérents à "la crise juridique" après 23 octobre, soulignant que ceux qui défendent à cor et à cri, "l'illégalité des actes du gouvernement et de la Constituante après 23 octobre prochain, ne privilégient pas l'intérêt du pays. Toutes les parties sont appelées à parvenir à un consensus sur les questions qui concernent l'opinion publique, a-t-il soutenu, appelant les forces politiques à ne plus décrédibiliser les efforts déployés par les Constituants en vue d'élaborer une Constitution "consensuelle" et à ne plus verser dans l'improvisation. Il est primordial, a-t-il dit, de parachever l'écriture de la nouvelle Constitution dans les quelques mois à venir afin d'organiser des élections générales, appelant à ne pas semer la panique auprès de l'opinion publique. Pour le Constituant Mohamed Hamdi (Groupe démocratique), la question qui se pose à l'heure actuelle est "un faux débat", précisant que les fervents adeptes du 23 octobre 2012, date-butoir à la fin de la légalité constitutionnelle expriment une "opinion infondée" au même titre que ceux qui s'appuient sur la légitimité des urnes pour contourner les problèmes cruciaux du pays. La règle consensuelle devrait être de mise dans cette situation, a-t-il affirmé, citant le cas des élections de la Constituante prévues au mois de juillet 2011 et reportées ensuite au mois d'octobre de la même année. Cette logique consensuelle a permis d'organiser les élections dans de bonnes conditions reconnues par l'ensemble des partis politiques. Dans le même contexte, Azed Badi (mouvement Wafa -fidélité à la révolution-) estime que la mini constitution a fixé un calendrier pour les structures et institutions de l'Etat qui, a-t-il dit, prendront fin avec l'élaboration de la constitution et la mise en place des institutions de l'Etat. «Le vide institutionnel ne sert pas l'intérêt du pays qui commande le respect de la légitimité électorale issue du scrutin du 23 octobre », a t-il ajouté. Hichem Hosni, (parti de la lutte progressiste), estime que la légitimité, un an après les élections de l'Assemblée nationale constituante, s'inspire de l'institution législative représentée actuellement par l'ANC. Il a souligné, dans ce contexte, que la formation d'un gouvernement d'union nationale reste un choix politique qui ne s'inscrit pas dans la logique de la légalité et de la légitimité issues de la mini constitution et acceptée par les partis politiques de la constituante. Dans le même ordre d'idées, Fethi Letif (parti du travail tunisien) a rappelé qu'il y avait une volonté affichée dés le début des travaux de la constituante de fixer une date butoir pour l'élaboration de la constitution mais la troïka n'en a pas tenu compte. Il a plaidé en faveur d'un consensus en vue de fixer un délai pour parachever la rédaction de la constitution afin d'éviter la controverse. Kamel Saadaoui (indépendant) a estimé que l'existence d'une crise sur la légitimité après le 23 octobre est un faux problème dans la mesure où l'assemblée constituante est une institution souveraine. Une fois ses travaux achevés, a t-il expliqué, elle sera remplacée par une nouvelle instance législative dans un climat démocratique. Pour sa part, Samia Abou (CPR), a indiqué que l'argument soutenant la perte de la légitimité des instituions de l'Etat après le 23 octobre prochain est sans fondement juridique, précisant que la mini constitution n'a pas fixé d'échéance pour l'élaboration de la future constitution. Elle a mis en garde contre l'empressement dans la rédaction de la future constitution qui pourrait se faire aux dépens de son contenu.