Décidément, la présidence de la république étonnera toujours par sa façon de se comporter avec ce que d'aucuns considèrent comme un manquement au respect des institutions nationales et donc une vraie marginalisation, sinon d'une dénaturation certaine, de la nature républicaine de l'Etat tunisien. Passe encore pour tout ce qui a été dit et écrit à propos du look présidentiel et de son inadéquation avec l'institution qu'il représente, au point que certains ont poussé le rapprochement adéquat entre Marzouki et Khadhafi. Mais quand la présidence commence à mettre en défaut les textes mêmes qui gèrent la répartition des pouvoirs en période de transition, comme ces infractions criantes liées au limogeage du gouverneur de la Banque centrale et à la nomination de son remplaçant, on est en droit de parler de bafouage des institutions de l'Etat. Cependant, l'important ici, c'est de comprendre s'il s'agit d'une politique du défi ou d'un comportement de moyens non acquis. Certains indices poussent à retenir plutôt la première thèse. En effet, il y a tout lieu de croire que le président provisoire tient à se démarquer, de la façon la plus claire, du président du gouvernement, si bien qu'après chaque déclaration d'accalmie, voire de reprise de l'entente originelle au sein de la troïka, un geste présidentiel semble nous fredonner, en arrière-fond, la chanson de Dalida : « Paroles, paroles, paroles ! » En effet, on était satisfait et rassuré que le président du gouvernement prenne franchement la défense de l'institution militaire, contre toutes les manigances et les tendances visant sa déstabilisation, insistant sur la nécessité de la laisser hors des tiraillements et des calculs de toutes sortes. Cela a été d'autant plus heureux que le spectacle des tensions et des tiraillements entre l'armée et le président élu, en Egypte, n'est pas encore achevé, maintenant l'équilibre de l'Etat dans une instabilité inquiétante. Certains avaient pourtant des doutes sur une attitude semblable à celle de HamadiJébali, du côté de la présidence de la république, d'autant plus que ces observateurs avaient toujours eu, plus qu'une impression, la conviction même que le président provisoire ne portait pas dans son cœur les responsables de l'institution militaire, jugés plus proches du président du gouvernement. Ces mêmes observateurs, « sans doute peu objectifs », dirait la présidence (en pensant peut-être le contraire), ont vite dit, après la destitution de Mustapha Kamel Nabli, que le tour était venu des responsables de la défense, pensant évidemment au ministre et au Général des trois armées. Pour eux, la preuve n'a pas tardé à venir, car en même temps que le président du gouvernement défendait l'institution militaire, le président de la république réunit « le conseil de sécurité » de l'Etat, en présence du ministre de l'Intérieur et en l'absence du ministre de la Défense. Plus même, il s'installe d'un côté de la table avec le ministre de l'intérieur et met devant lui, du même côté et au même rang comme pour dire au même statut, trois directeurs généraux du ministère de l'intérieur et le Général des trois armées. Le message n'est pas resté lettre morte ; c'était comme si le président de la République revendiquait, à la veille de la célébration de la République, une fusion des forces de l'Intérieur et celles de la Défense, sous sa seule autorité de Commandant « Suprême » des Forces armées et de Sécurité. Un bien beau projet d'une dictature en éclosion, diraient certaines mauvaises langues ! Entre temps, le mercredi 24 juillet, le peuple tunisien, par ses élus interposés, se tapera comme toujours, depuis qu'il s'est payé trois présidences, trois discours aussi pompeux l'un que l'autre, se prévalant chacun de la défense et de la protection républicaine, en pensant peut-être à quelque chose qui n'en serait que la parodie. Se souviendra-t-on, à l'occasion, que la présidence de l'ANC avait promis de résoudre la question de l'Instance des élections, de l'Instance de l'audiovisuel et je ne sais combien d'autres instances, le tout avant la fin du mois de mai ? Je crois qu'à la fin, avec ou sans attributions, c'est Moncef Marzouki qui, à la fin, a toujours raison. N'avait-il pas réclamé entre trois et cinq ans pour cette seconde étape transitoire ? Voyez comme le déroulement des choses va dans son sens, comme il a fini par avoir raison pour d'autres décisions. Pourquoi s'étonner alors de ce nouveau montage, bien tissé de façon préméditée, quant aux instances sécuritaires ? A croire que le président de la République ait l'intention d'envoyer, bientôt, à l'Assemblée constituante un nouveau décret portant dissolution du ministère de la défense et son remplacement par une direction générale du ministère de l'Intérieur ! Il y aura bien un proverbe de chez nous qui, demain, dira : « En période de transition, tous les coups sont permis ».