A Ben Guerdane, ville frontalière avec la Libye, les commerçants se trouvent toujours dans une situation critique sous le poids des difficultés permanentes imposées à leur commerce. Les accords se succèdent les uns après les autres entre des partis libyens et des partis tunisiens afin de réguler au mieux le trafic commercial au niveau du passage de Ras Jedir. Tous ces accords insistent sur la nécessité de préserver la dignité du tunisien sur le territoire libyen, toutefois, pour ce qui est de l'application, c'est une autre histoire. Dans ce contexte, « Tunisie Numérique » a mené son enquête afin de déterminer les raisons profondes du non-respect des termes de ces accords, dont les deux derniers ont été signés récemment, le 2 et le 17 janvier 2017. Historique des accords récents, que contiennent-ils ? Accord du 2 janvier 2017 Cet accord, connu sous le nom de « l'accord de Zaouia », a été établi lors d'une rencontre qui a réunit du côté tunisien des représentants de la société civile de Ben Guerdane, menant ce qu'on appelle communément «diplomatie populaire ou informelle», en plus du député du gouvernorat de Medenine, Ahmed Amari. Du côté libyen, il y a le représentant de la chambre des opérations militaires de l'ouest, une délégation du comité de réconciliation, un nombre de représentants des municipalités de la côte ouest et du bataillon de « Jamel Ghaeb », affilé au gouvernement de sauvetage non reconnu sur le plan international. Cet accord comporte une série de mesures concernant les échanges commerciaux des citoyens des deux pays. En effet, les libyens auront le droit d'importer des médicaments de la Tunisie (à condition qu'elles figurent sur leurs ordonnances médicales), de la marchandise, des produits élémentaires (uniquement celles de fabrication tunisienne), d'une valeur ne dépassant pas les 1000dt pour chaque passage. Les tunisiens quant à eux ont le droit d'importer de la Libye des produits de fabrication libyenne et étrangère d'une valeur totale de 4000 dinars libyens (2500 dinars libyens) en plus de 150 litres de carburant en dehors de celui contenu dans le réservoir du véhicule. Accord du 17 janvier 2017 Ce dernier comprend les mêmes clauses de l'accord de Zaouia, il a été signé par les hauts cadres de la douane des partis libyens et tunisiens. Il a permis de mettre fin à la grève des commerçants de Ben Guerdane qui a duré plus d'un mois tout en signant le retour du trafic commercial au niveau du passage. Toutefois, ces deux accords n'ont pas permis la résolution définitive du problème, les tunisiens sont toujours sujets à des répressions de la part des autorités libyennes et se plaignent des mauvais traitements qui leur sont réservés une fois sur le territoire libyen. Les raisons profondes du non-respect des accords Un conflit libyo-libyen et absence d'un pouvoir politique uni Le député au sein de l'ARP Ahmed Amari qui fait parti des négociateurs ayant joué un rôle actif lors de la signature des deux derniers accords a déclaré : « dès le départ, les accords se caractérisaient par leur fragilité, ils nécessitent de la patience et du suivi... c'est pareil à l'assemblage de contradictions compte tenu de la complexité de la situation politique et sécuritaire libyenne...et en particulier celle des municipalités libyennes proches de la frontière tunisiennes. » Le député a indiqué qu'avant même de commencer les négociations, il a fallu jouer la médiation entre plusieurs partis libyens et les convaincre de s'assoir à la même table. A ce niveau, Amari a qualifié les accords de « véritable exploit » vue les obstacles existant sur terrain. Enfin le député de Médenine a indiqué que malgré la signature avec des partis libyens légitimes et élus, ces derniers ont un pouvoir réduit, particulièrement en l'absence d'un représentant de la municipalité de Zouara, qui a refusé l'invitation à la table des négociations. Déclaration de Ahmed Amari: Absence de Zouara, le véritable parti qui contrôle le passage du côté libyen Dans une déclaration du secrétaire général de l'Union régionale du Travail à Ben Guerdane Mohsen Lachiheb, ce dernier a confirmé les propos du député tout en considérant que l'absence d'un parti officiel libyen rend difficile la mission du gouvernement tunisien, de la société civile et des diverses organisations à engager les libyens à respecter à la lettre les accords signés. Déclaration de Miloud Laffi: Par ailleurs, il a expliqué la poursuite des mauvais traitements réservés aux commerçants tunisiens par l'absence de la municipalité de Zouara, véritable pouvoir en place qui contrôle le passage de Ras Jedir du côté libyen. Miloud Laffi, un commerçant de Ben Guerdane, qui se rend régulièrement sur le territoire libyen a assuré que sur le terrain, c'est Zouara qui tient les rênes. Laffi a déploré les mauvais traitements réguliers dont les tunisiens sont victimes, notamment par les douaniers libyens qui imposent des taxes illégales, des pots-de-vin, chose inacceptable pour les commerçants tunisiens. De ce fait, une nouvelle grève pourrait avoir lieu en plus d'autres formes de protestations, toujours dans un rythme ascendant. Déclaration de Mohsen Lahiheb: L'aspect informel de l'accord négocié par « la diplomatie populaire » Du côté libyen, Nouri Bou Derbala, membre du conseil municipal de Zalten, ville du district d'An Nouqat al Khams a indiqué que les accords conclus sont provisoires car informels dans l'absence d'un pouvoir politique uni en Libye. Il a de même précisé que l'absence d'un représentant de Zouara, pour des raisons qu'il ignore, a contribué à la fragilisation des négociations. « La diplomatie populaire », quoique volontaire, n'est pas en mesure de régler le problème, elle ne peut en aucun cas remplacer « la diplomatie formelle » qui engage les partis à assumer leurs responsabilités et à appliquer les clauses. Déclaration de Nouri Bouderbala: Le conflit d'intérêts entre libyens ainsi que l'absence d'un acteur clé (municipalité de Zouara) des négociations font que Ben Guerdane qui dépend économiquement du pays voisin se trouve dans une situation explosive, prête à se déclencher à tout moment. Entre les commerçants tunisiens malmenés par les autorités libyennes et les libyens qui subissent à leur tour la colère des tunisiens, la région frontalière n'est prête de retrouver sa stabilité d'aussitôt. L'initiative récente tuniso-algéro-égyptienne qui vise à réunir tous les partis au pouvoir libyens et les inciter à négocier autour de la même table pourrait constituer un espoir et un début de solution au cas Ben Guerdane.