Le slogan, un raccourci sémantique auquel le candidat est reconnaissable, est censé en restituer, à travers quelques mots bien choisis et bien sentis, l'identité et le programme. En principe, le slogan est un signe singulier, propre et distinctif, il est avant tout un cri de ralliement, délivrant un message bien particulier et un idéal dont le candidat fait son cheval de bataille. Un slogan accrocheur et incisif ne peut être taillé dans les clichés et autres poncifs, mais tressé dans un langage de représentation et d'identification. A quelques rares exceptions près, les candidats tunisiens aux élections présidentielles n'ont pas fait preuve d'originalité, de recherche et de créativité. Une lecture dans les slogans utilisés fait ressortir un manque d'imagination, d'inspiration et un goût prononcé pour les lieux communs et les sentiers battus. Au lieu d'apporter un soin particulier à leur leitmotiv, certains ont versé dans le stéréotype, imitant, copiant ou plagiant ou carrément confisquant un slogan porté haut ailleurs. A titre illustratif, le slogan « On gagne ou on gagne« , sous lequel Moncef Marzouki mène sa campagne, a été piqué à Laurent Gbagbo, ex président de Côte d'Ivoire aujourd'hui en taule. Il lui a suffit d'arabiser la phrase et le tour est joué. Encore mieux, Nourddine Hachad n'a pas cherché à innover ou à se griller les neurones, le mot existe, chargé de symbole et d'intensité, il n'a qu'à se baisser pour s'en servir. En effet, il s'est contenté de reprendre à son compte le célèbre et non moins historique mot de son père « je t'aime, peuple« . Comme s'il s'agit d'un héritage familial et personnel dans lequel le candidat trouve légitime de puiser. C'est de bonne guerre, diraient certains à juste titre mais l'œuvre de Farhat Hached est un patrimoine commun à tous les tunisiens. Pour sa part, Kamel Morjane nous apprend tout bonnement que « La Tunisie a besoin d'un président« . Ah bon, on ne le savait pas ! Heureusement que ce candidat est là pour bien en éclairer notre pauvre lanterne. Dans la même occurrence, Abderazek Kilani emprunte la même voie et braille une vérité qu'il entend s'approprier en exclusivité, enjoignant l'électeur tunisien « lève ta tête c'est la révolution de la dignité« . Désolé Rzouga, plein dans le mille, nous autres tunisiens, nous avons cru un moment que c'était une révolution de salon. L'amour de la Tunisie est récurrent dans nombre de slogans. Il est bien beau de déclarer son amour à son pays, mais tous les candidats sont lotis à la même enseigne, tous sont amoureux de la Tunisie et, à ce titre, il n'y a pas lieu d'en faire un cri de guerre. Dans une campagne électorale, ce n'est pas d'amour qu'il est question dès lors que cet amour est, par définition et par essence, acquis, les électeurs n'attendent pas des professions de foi mais des engagements fermes. Ces chantres de l'amour, croyant rivaliser de poignants hymnes, ne chantent au fait qu'un air du déjà vu. A cet effet, quelle différence pourrait-on établir entre Beji Caid Essebsi « Alors vive la Tunisie », Mustapha Kamel Nabli « La Tunisie« , Ahmed Nejib Chebbi « La Tunisie comme on l'aime« , Salem Chaybi « je t'aime Tunisie » Mohamed Frikha « L'amour de la patrie est une foi« . Pour ce dernier, candidat d'Ennahdha aux législatives mais indépendant aux présidentielles (allez comprendre quelque chose !?), il a jugé de bon ton d'introduire une dose religieuse. Tous les hameçons et appâts sont permis pour partir à la pêche de Carthage ! Sur autre plan, un noyau de candidats, l'âme ouvrière et l'esprit bâtisseur, a surfé sur la vague de la construction. En tunique d'architecte, pic à la main, Mustapah Ben Jaafer a brassé son ciment armé (désarmé ?!) avant de lancer « Ensemble… on protège la Tunisie…on bâtit l'avenir« , ce à quoi Mehrez Boussayene a pris sa dernière pelle de béton pour paver « le chemin de la construction« . D'humeur batailleuse, convaincu de la qualité de son mortier, Yassine Channoufi, a rétorqué, un brin de rime à la bouche, « main dans la main pour bâtir une Tunisie de demain« . Ne se sentant pas en reste, Samir Abdelli a enclenché sa bétonnière et crié « on bâtit la Tunisie ensemble avec ses hommes et ses femmes« . Il est vrai que la Tunisie est désormais un grand chantier à ciel ouvert. Fidèle à sa logique de contradiction, Hamma Hammami a choisi son camp, gratifiant l'électorat d'un slogan, à mi-chemin entre le populaire et le populiste. Le mot » le fils du peuple président » suggère que les autres candidats sont des barons et des nantis et non des fils du peuple au même titre que lui. Mokhtar Mejri n'en fait pas un foin, il est d'accord sauf qu'il recommande que » On parle avant« . Quant à Mondher Zenaidi, il semble ne pas trop goûter à ce genre de posture par trop egocentrique, il nourrit l'idée, quoi-qu'éculée et usée jusqu'à la corde, de « La solution par tous les tunisiens« . Pour en finir, quand Slim Riahi compose son cocktail détonnant et non moins paradoxal pour exécuter son exercice de style « Une Sécurité sans dictature, une démocratie sans dérapage« , Mohamed Hechmi Hamedi lève un sourcil inquisiteur et curieux pour déchiffrer le codage secret de la démocratie « La justice le mot de passe« . Entendant cela, Abderaouf Ayedi pique une grosse colère, dégage en touche et renvoie tout les concurrents à leurs chères études, éructant que rien ne sera fait sans « espoir et travail« . Prenant part belle aux joutes, l'œil mauvais et le verbe haut, Hamdoua ben Slama n'en démord pas et, en homme connaissant le coût à payer et combien la loyauté est onéreuse, s'adresse directement au peuple « Votre confiance est chère« . Pour Ali Chourabi, il ne s'en cache pas, rien ne sert de courir il faut partir à point, donc il faut savoir choisir son starting-block. Lui, il a déjà une idée sur le sien, à savoir la ligne de feu de l'amour « Je prends départ du fond du cœur« . Au chapitre bonne pioche, le palme revient à Kalthoum Kennou avec « Yes we Kennou« , un slogan plutôt recherché et collant bien aux défis nationaux auxquels le futur président et le prochain gouvernement feront face. Aux dernières nouvelles, Barack Obama en rit aux anges. A ce registre, et non loin de là, la trouvaille, tout en jeu de mots, pleine de significations d'Arbi Nasra « De vous à vous » mérite d'être au podium. Les slogans de Abdelkader Labbaoui « Le président une garantie » et de Safi Said « Unis » sont également à classer dans la rubrique des mots réussis. Nul doute qu'un bon slogan ne fait pas un bon président, l'inverse est tout aussi vrai.