D'abord, il y a lieu de faire un bref rappel historique : L'idée d'interdire le cumul simultanée des mandats, à la fois politiques et associatifs, a été un subterfuge monté de toutes pièces, en 1992, par la dictature déchue pour contrer, voire, détruire la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme. Il s'agissait de vider la Ligue de certaines figures politiques et de l'investir par des pantins du RCD. Le fait que le même procédé d'exclusion figure dans un texte législatif, en l'occurrence le Décret-loi N°88- 2011 relatif aux associations en Tunisie, adopté, qui plus est, après la révolution est en soi une insanité et une façon de perdurer des pratiques honnies. En outre, il est à souligner que le Décret-loi N°88- 2011 a été promulguée, à la veille des élections du 23 Octobre 2011, par le Gouvernement Beji Caid Essebsi, pour anticiper sur toute utilisation des associations à des fins politiques ou électorales. Cette loi cherchait à couper court à cette possibilité de glissement et d'instrumentalisation, les associations sportives n'étant jamais dans sa ligne de mire. Ce sont les associations culturelles ou caritatives, inféodées à des partis politiques ou dirigées par des hommes politiques, qui en constituaient la cible. L'objectif ultime de ce Décret-loi consistait à prémunir la campagne électorale de toute manipulation à travers les associations. Vouloir réactiver aujourd'hui, hors contexte, ledit Décret-loi dénote une manière de voir plutôt sombre et intéressée. La lettre adressée par le Secrétaire Général du Gouvernement à Slim Riahi, président à la fois de l'association Club Africain et du parti politique Union Patriotique Libre, a défrayé la chronique et a fait couler beaucoup d'encre de diverses couleurs. En fait, les dessous de ce dossier sont chargés d'enjeux, de symboles et de risques. Cette question pourrait être approchée sous trois angles d'ordre juridique, politique et social. Sur le plan juridique En effet, aux termes de l'article 9 dudit Décret-loi N°88- 2011, il est interdit aux fondateurs et dirigeants de l'Association d'assumer des responsabilités dans les structures centrales des partis politiques. En cas d'infraction, l'article 45 énonce des mesures graduelles de représailles : Avertissement puis suspension des activités puis dissolution pure et simple. Chaque étape des sanctions est assortie d'un délai de 30 jours. A défaut de se confirmer aux dispositions pertinentes durant cette période, l'étape suivante entre en vigueur, et ce jusqu'à la dissolution. Cependant, dans les mesures transitoires prévues par cette loi (partie 9), l'article 47 du Décret-loi N°88- 2011 stipule que les dispositions de cette loi ne s'appliquent pas aux Associations disposant d'un statut spécial. Jusqu'ici, les associations sportives ont été, de facto, couvertes par cette exception, du moins selon la lecture développée par la jurisprudence, dans la mesure où les associations sportives sont régies par la loi N° 11-1995 promulguée le 6 Février 1995, relative aux structures sportives. Le Ministère de la Jeunesse et des Sports en fait également la même interprétation et abonde dans le même sens, à savoir, les associations sportives en sont exemptes, notamment l'article 9 susmentionné. Dans un communiqué publié récemment, ledit Ministère informe qu'il en a fait la demande au Secrétaire Général du Gouvernement, arguant, à juste titre, la spécificité des associations sportives, tenues « d'appliquer les règlements émanant des instances sportives nationales et internationales« . Selon la lettre explicative adressée au Club Africain par le Secrétaire Général du Gouvernement, ce dernier affirme que la loi N° 11-1995 ne porte que sur les procédures régissant le rôle des associations sportives et leur mode de fonctionnement et qu'à ce titre le cadre juridique de référence administrant l'organisation des associations sportives reste bien le Décret-loi N°88- 2011. Le Secrétaire Général du Gouvernement, pour clore le débat, en fait valoir l'article 3 qui stipule : » Le sport civil de compétition s'exerce dans le cadre de fédérations et d'associations régies par la loi sur les associations et par les dispositions de la présente loi« . Une question s'impose : Cet article 3 se réfère à la loi sur les associations, en vigueur à l'époque, à savoir la Loi N° 59-154 en date du 7 Novembre 1959. Toutefois cette Loi N° 59-154 a été abrogée par l'article 46 du Décret-loi N°88- 2011, d'où la caducité de l'article 3 de la loi N° 11-1995, cité, comme argument de poids, par le Secrétaire Général du Gouvernement. Autrement dit, le Secrétaire Général du Gouvernement peut-il se prévaloir d'une loi qui n'existe plus ? Donc, il y a imbroglio juridique, compliqué par un fâcheux juridisme. La course aux interprétations, souvent antinomiques, montre que la question ne pourrait être tranchée d'une manière définitive et satisfaisante. Chaque partie semble camper farouchement sur sa position. Sur le plan politique D'aucuns se sont interrogés sur le timing. Pourquoi maintenant ? Y aurait-il quelques considérations politiques motivant l'empressement du Secrétaire Général du Gouvernement à vouloir appliquer vaille que vaille des dispositions pour le moins iniques. Ne serait-on pas tenté d'expliquer ce rappel à l'ordre aux dernières positions politiques de Slim Riahi critiquant virulemment Ennahdha et la présidence ? Est-ce fortuit que quelques jours après ses déclarations, le dossier concernant le cumul des mandats, pourtant vieux de 18 mois, soit remis en surface et utilisé comme fer de lance ? La coïncidence est trop au raz du fil pour ne pas suspecter une anguille sous roches. D'ailleurs, ce contentieux a donné lieu à une nouvelle cacophonie du gouvernement dont deux membres (Ministère de la Jeunesse et des Sports et Secrétaire Général du Gouvernement) se donnent en spectacle sur la place publique par des avis totalement différents, nourrissant encore plus la controverse et exaspérant l'opinion publique clubiste dont une bonne partie n'a pas manqué de soupçonner une cabale sinon une franche conspiration contre leur club. Et ce n'est pas là une simple figure de rhétorique mais un sentiment bien diffus. Il est à se demander si le Secrétaire Général du Gouvernement est conscient de la gravité de sa démarche, notamment des menaces de dissolution qu'il a adressées. Comme d'autres grandes associations, bastions du sport tunisien, le Club Africain est beaucoup plus qu'un simple club, beaucoup plus important que n'importe parti politique. Vouloir en découdre avec un tel monument relève notamment de la myopie politique. Certains diraient que c'est de l'application de la loi qu'il s'agit et que nul n'en est au dessus, mais quand il est question d'une loi insane et injuste, le bon sens commande d'en modifier les termes et non d'en faire un mauvais cheval de bataille, avec le risque politique et social que ceci est en mesure de provoquer. Sur le plan social Le nouveau gouvernement, à peine installé, compte beaucoup, pour mener son mandat à bon port, sur une stabilité sociale et une large chaine d'appui. Il aurait pu s'épargner un bras de fer avec le « peuple » clubiste dont la grande base populaire est capable, le cas échéant, et pour s'en défendre, de précipiter une crise sociale. Des appels de sit-in prolifèrent parmi le public clubiste. Le climat social risque le pourrissement si le conflit n'est pas réglé en temps opportun. La situation tunisienne actuelle ne supporte guère un quelconque embrasement. En ce contexte de tension sociale, le Gouvernement n'a pas vraiment besoin de se tirer une balle dans le pied et d'alimenter, consciemment ou inconsciemment, les foyers de sédition. Une démarche plus saine et plus consensuelle aurait désamorcé certainement cette bombe à retardement. Un processus de concertation engageant les différentes parties prenantes aurait pu ouvrir la voie à une solution, notamment l'amendement de cette fichue loi.