Q1 : Selon votre avis, quelles sont les convergences entre la comptabilité et la fiscalité ? D'abord, la comptabilité est un moyen de mesurer les résultats de l'entreprise à travers le recensement des flux économiques et par l'établissement des états financiers. Elle décrit sa situation financière, l'état de son patrimoine et ses performances au titre de la période écoulée. Quant à la réglementation fiscale, elle a pour but de déterminer les principes d'évaluation de la matière imposable et les modalités de taxation. La comptabilité et la fiscalité sont deux disciplines, bien qu'elles soient autonomes, ont un domaine commun important et s'interpénètrent largement. Il faut bien reconnaître que la fiscalité a beaucoup contribué au développement de la comptabilité ce qui fait que la convergence comptabilité / fiscalité crée un contexte favorable à la transparence tant fiscale que comptable. A propos de la thématique du rapprochement des normes comptables aux normes fiscales, je préconise que depuis la parution du système comptable des entreprises en 1996, il n'a pas été réalisé d'études empiriques destinées à apprécier le degré de son application par les entreprises, excepté quelques études non approfondies qui ont été faites par des étudiants ou des doctorants. Le système comptable des entreprises était placé à la date de sa parution à un niveau élevé puisqu'il a été inspiré considérablement par le référentiel international. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer, sans risque majeur de nous tromper, que les normes comptables publiées n'ont connu qu'une application partielle et ce en raison, entre autres, de la dominance des règles fiscales. Selon le rapport ROSC : RAPPORT SUR LE RESPECT DES NORMES ET CODES (RRNC) établi par une équipe de la Banque mondiale, « les préparateurs des états financiers des petites et moyennes entreprises et des entreprises d'intérêt public tendent à suivre les régies fiscales, plutôt que les traitements comptables préconisés par les normes comptables tunisiennes, dans plusieurs domaines (amortissement, comptabilisation des revécus, provisions). La transparence souffre de cette prédominance des considérations fiscales, et des écarts qui en découlent par rapport aux normes comptables applicables ». Depuis la parution du système comptable des entreprises, certaines règles fiscales ont évolué dans le sens d'un rapprochement aux règles comptables (en exemple, l'amortissement des biens exploités en leasing chez le preneur et non chez le bailleur), mais cette évolution reste limitée. Encore, il demeure que la convergence des règles fiscales vers ces référentiels comptables est nécessaire pour une meilleure transparence financière et fiscale et pour une économie qui s'ouvre de plus en plus à l'international. Q2 : En dépit de ces convergences, il existe tout de même des différences entre la comptabilité et la fiscalité. Si vous pouvez nous les recenser ? Le droit fiscal et le droit comptable répondent chacun à un processus normatif différent. La règle fiscale repose sur le principe de légalité (modèle fiscal du prix de revient, des créances acquises et des dettes certaines). Alors que la règle comptable, servant principalement à informer, a besoin de flexibilité. Le droit fiscal consacre et exige la tenue d'une comptabilité conforme au système comptable des entreprises et n'admet pas de nombreux traitements comptables préconisés par ce système. Le droit comptable qui coexiste avec le droit fiscal est constitué par une panoplie de textes. La comptabilité financière a pour objectif de satisfaire en priorité les besoins des investisseurs à risque (actionnaires et bailleurs de fonds). La fiscalité est un instrument de politique économique et de régulation des richesses entre les différents acteurs. En définitive, la détermination de l'assiette imposable s'appuie sur l'information comptable, et il est normal qu'il existe des divergences entre la comptabilité et la fiscalité. Dans ce même cadre, je précise que ces divergences peuvent provenir : 1- du rejet par la fiscalité de certaines charges (exemple : les amendes et pénalités) ou l'exonération de certains produits (exemple : les dividendes encaissés), 2- de traitements comptables non admis par le fisc (exemples : réduction de valeur, actualisation des créances...), 3- des règles de rattachement à l'exercice des charges et produits : décalage dans le temps (exemple : les provisions, les subventions, les écarts de conversion). Q3 : Pouvez-vous nous proposer une typologie des divergences entre les deux disciplines ? Entre les deux disciplines, on distingue des écarts définitifs et des écarts temporels. Les écarts définitifs correspondent aux charges dont la déductibilité est définitivement exclue et les produits dont l'imposition est définitivement écartée. Ils donnent lieu aux ajustements nécessaires du résultat comptable pour le calcul de l'assiette imposable (au niveau du tableau de détermination du résultat fiscal). Les écarts temporels sont ceux qui génèrent des actifs et des passifs d'impôts différés (IAS 12 révisée). Alors, les divergences entre règles comptables et règles fiscales découlent de l'application des normes comptables, et d'autres normes d'inspiration I A S, mais, les développements récents des normes internationales génèrent encore de nouvelles divergences. La convergence vers les normes internationales dans leur version actuelle est incontournable : « Tout pays désireux d'avoir sa place dans l'économie mondiale serait virtuellement obligé de les utiliser » René Ricolle ancien Président IFAC Les IAS (IFRS) dans leur nouvelle conception traduisent l'image fidèle dans sa signification extrême (principe de comptabilisation en juste valeur). Enfin, il est fort important d'assurer le traitement des divergences actuelles avec la nécessité d'une harmonisation des règles comptables et des règles fiscales. Q4 : Si la fiscalité ne s'aligne pas sur la comptabilité à un niveau qui établit une compatibilité suffisante des deux disciplines, peut-on maintenir la connexion de la comptabilité avec la fiscalité ou faut-il suivre les Anglo-Saxons et opter pour la déconnexion des deux disciplines ? De prime abord, je précise qu'on distingue entre un modèle de connexion et un autre de déconnexion. Le modèle de la connexion implique une interaction entre le résultat comptable et fiscal. Ce modèle est adopté, à titre d'illustration en Tunisie, France, Italie, Portugal, etc. Le modèle de déconnexion, par contre, est appliqué dans d'autres pays tels que les Etats-Unis, Royaume-Uni, Pays Bas, Danemark, etc. En outre, il n'existe pas en droit tunisien l'équivalent d'un article du code général des impôts français qui dispose « Les entreprises doivent respecter les définitions dictées par le plan comptable général sous réserve que celles-ci ne soient incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ». Alors, la règle qui doit gouverner les rapports comptabilité/fiscalité est la suivante: Lorsqu'une règle comptable s'oppose à une autre règle divergente résultant d'une disposition fiscale expresse, il se fait application du principe de l'autonomie; Dans ce cas, l'information comptable résultant de l'application de la norme comptable sera retraitée pour les besoins de la détermination du résultat fiscal. En revanche, toutes les règles comptables qui ne contredisent aucune disposition expresse de la réglementation fiscale s'imposent comme règles communes aux deux matières comptable et fiscale. Aussi, il est important de choisir clairement l'objectif de convergence de la fiscalité vers les référentiels comptables. Il serait logique de planifier la réalisation de cette action en fonction des contraintes budgétaires. Q5 : Quelles sont vos solutions envisageables pour cette thématique ? La mise en œuvre de l'harmonisation entre les deux disciplines est cruciale. Je préconise d'éviter toutes les règles fiscales qui sont de nature à imposer des règles comptables (constatation des amortissements, vente à la valeur nominale…). L'harmonisation des règles comptables et des règles fiscales contribue à l'objectif de transparence tant comptable que fiscale. Les opérateurs économiques, politiques et législatifs sont appelés à agir dans le sens d'une action concrète et rapide pour atteindre cet objectif. Aussi, il faut bien réduire progressivement les cas de divergences temporaires (ou temporelles), c'est-à-dire celles qui tiennent à des différences entre l'exercice de rattachement fiscal et l'exercice de prise en compte en résultat en comptabilité. En plus, il est nécessaire de consacrer par le droit la primauté de la règle comptable si elle ne s'oppose à aucune disposition expresse de la réglementation fiscale et faire application du principe de l'autonomie des deux disciplines au cas où une règle comptable contredit une autre règle résultant d'une disposition fiscale expresse. D'un autre côté, je recommande de reconnaître les notes aux états financiers comme une composante de la comptabilité pouvant servir de justification du respect de certaines obligations comptables et fiscales (comme par exemple l'excédent d'amortissement admis fiscalement). Egalement, il serait important de faire simplifier davantage la fiscalité en évitant toutes les différences qui sont « peu rentables fiscalement» et qui sont de nature à rendre très compliqué l'ajustement du résultat comptable et le calcul de l'impôt différé.