Il y a trois grandes idées fausses dans l'histoire de la Tunisie. Etrangement, ces idées, en dépit de leur caractère chimérique, ont fondé une identité pour le peuple tunisien et donné à l'histoire de la Tunisie une lecture erronée qui continue à exister jusqu'à nos jours. Ces idées continueront de dérouter et tromper le peuple tunisien tant qu'on ne les aura pas révisées et corrigées. Nous présenterons ces idées dans leur ordre chronologique. 1) La première consiste à considérer que la civilisation le peuple et la langue de Carthage étaient morts suite à la destruction de Carthage Byrsa en 146 av. J.C. Rien n'est plus erroné que de soutenir qu'une civilisation, qui a dominé la Méditerranée et prospéré durant plus de sept siècles puisse être éclipsée et remplacée par une autre quelle qu'elle soit !! La preuve, plusieurs conquérants appartenant à des civilisations différentes se sont succédés pour gouverner cette terre sans pour autant changer en profondeur la base civilisationnelle de notre pays : dans l'agriculture, le vestimentaire, le culinaire, l'architecture et la décoration. Certes, les Romains, les Turques et les Français ont introduit quelque chose de nouveau s'ajoutant au socle civilisationnel carthaginois. Ce qui s'est produit à travers les siècles c'est un enrichissement et jamais un remplacement d'une civilisation enracinée, celle de Carthage. Nous avons exclu les Vandales et les Arabes en raison du caractère faible de leurs civilisations lors de leurs conquêtes de la Tunisie. En réalité l'influence était dans le sens inverse. Car les Vandales et les Arabes étaient conquis par une civilisation beaucoup plus développée que les leurs. La grandeur des édifices et des monuments a dû les subjuguer car ils n'avaient pas de constructions pareilles dans leurs forêts, pour les Vandales, et dans leur désert, pour les Arabes. Les uns et les autres, avec le temps, ont adopté toutes les caractéristiques de la vie des Tunisiens. 2) La deuxième idée fausse est celle de considérer que le peuple tunisien est un peuple arabe. Il suffit de se référer à l'histoire pour découvrir cette tromperie. Et il est fort probable que cette fausse idée découle de la première. Car si on a cru que Carthage était morte (Vie et mort de Carthage, Gilbert Charles Picard, Colette Charles Picard, Hachette, 1970.), civilisation et peuple, il faudrait donner une identité à ce peuple qui a continué à vivre sur cette terre. Les Romains parlaient d'Africains pour désigner ce peuple. Pourtant, ils savaient que le peuple Carthaginois, après la destruction de Carthage Byrsa en 146 av.J.C., a continué sa vie préservant sa civilisation et ses spécificités sur toutes les terres tunisiennes, et particulièrement dans les villes qui n'avaient pas participé à la dernière guerre punique contre les Romains. (St. Augustin, Gabriel Camps « l'Afrique ne fut jamais autant punique qu'après le saccage de -146 .») : Thabraca Tabarka, Kef el-Blida, Cap Blanc, Matara Mateur, Hippo-Zaryte Bizerte, Tindja, Theudalis Menzel Bourguiba, Ras Zebib, Uzalis Zwawine, Utique, Vaga Béja, Bulla Regia, Thugga Dougga, Sicca Veneria Le Kef, La Ghorfa Bourwis, Mactaris Maktar, Althiburos Medeina, Mididi Henchir Meded, Tynes Tunis, Curubis Korba, Ras el-Fortas, El-Haouaria, Kerkouane, Aspis Kélibia, Menzel Témime, Néapolis Nabeul, Thinissut Bir Bou Regba, Gurza Sidi Bou Ali, Hadrumète Sousse, El-Kénissia Ezzawia, Ruspina Mounastir, Lepti Minus Lemta, Thapsus Ras Dimes El-Bkalta, Sidi El-Hani, Smirat, Alibuta Mahdia, Ksour Essaf, Sullecthum Salakta, Achola Jebeniana, Thyna Taparoura Sfax, Cercina Kerkena, Borj Yonga Änga, Capsa Gafsa, Tacapes Gabes, Girba Djerba, Gigthis Bou Grara, Zarziz, Ras Gedir. (BOULARÈS Habib, Histoire de la Tunisie, Cérès Editions, 2012, p.53.) Toutes ces villes et les conglomérations, petites ou grandes, étaient restées intactes et les gens qui y vivaient étaient demeurés sains et saufs, avec toutes les caractéristiques de leur civilisation. En fait, les Romains évitaient de parler de Carthaginois pour ne pas éveiller un sentiment d'appartenance, nationaliste ou patriotique, comme on dit aujourd'hui, susceptible de relancer une lutte, pour récupérer la souveraineté, contre le colonisateur romain. Et pourtant, la résistance a éclaté à maintes reprises. Le peuple carthaginois a continué donc son chemin dans l'histoire sous toutes les forces occupantes : Les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, avant que le pouvoir ne leur revienne au dixième siècle (972) avec les zirides, de Sanhaja, puis avec les Almohades au douzième siècle (1160), qui sont la branche Hintati de la tribu berbère Masmouda. Mais il faut signaler que le général de l'armée des Almohades, Abdel-Moumen Ibn Ali est un Koumi, une branche de la tribu berbère Zénata. Après les Almohades, ce fut le rôle des Hafsides, par référence au fondateur Abou Hafs Omar Al-Hintati dont le vrai nom berbère est Faska O'mzal. Ces Hafsides ont régné trois siècles et demi (1228-1574). C'était en 1574 que les Tunisiens étaient gouvernés de nouveau par une force étrangère : les Ottomans, d'abord muradites puis hussénites. Après les Ottomans, les Français avaient imposé la colonisation durant 75 ans. Et de nouveau, les tunisiens redeviennent maîtres de leur destin depuis 1956. En somme, les Tunisiens avaient gouverné leur pays durant dix-sept siècles, et ils avaient été sous la domination d'une force étrangère durant quatorze siècles. Cela nous paraît tout à fait naturel pour une terre dont l'emplacement est d'une grande importance stratégique, dans l'antiquité ainsi que dans le monde moderne. Il serait aberrant de croire que l'arrivée de quelques milliers d'envahisseurs arabes, 250 000 dans toutes les vagues aient effacé un peuple dont la civilisation est vieille de plus de 1600 années avant l'arrivée des nouveaux conquérants, à compter à partir de la fondation de Carthage. Car cette civilisation est vieille de 7000 années si l'on prend comme repère la civilisation capsienne. Ceci sans considérer l'accumulation de l'expérience humaine sur la terre de la Tunisie qui s'est produite il y a plusieurs centaines de milliers d'années. A suivre ... Imed Ben Soltana