Esthète, elle a conjugué sa sensibilité à travers des modes d'expressivité artistique et littéraire. En effet, elle est cinéaste et a réalisé six films qui ont été sélectionnés dans les festivals nationaux et internationaux, à l'instar des JCC, Dubaï, San Francisco, FESPACO, Lumières d'Afrique, Festival Méditerranéen de Bruxelles, Films de Femmes Méditerranéens à Marseille, Festival International CinéAlma, Festival Maghreb des Films à Paris ; Festival méditerranéen de Montpellier, Biennale des Cinémas Arabes de lIMA etc., diffusés par TV5 Monde, France 3, la BBC, 2M Maroc, El Watania 2 (Tunisie). Elle est aussi femme de lettres et chercheuse. Ses quatre ouvrages ont obtenu le prix de la recherche scientifique, à savoir, le Comar du premier roman, le prix de l'édition africaine, le prix Zoubeida B'chir de la création féminine. Sonia Chamkhi est bel et bien une femme qui a su siller son chemin sur la voie de l'art et de l'esthétique. Dans cette interview, elle nous présentera son nouveau film Aziz Rouhou (Narcisse) et nous explicitera sa vision du monde concernant la création et l'art du cinéma. Le Temps : Vous êtes pluridisciplinaire : femme de lettres, enseignante d'art plastique, cinéaste, ces différentes sensibilités artistiques vous permettraient- elles de créer un cinéma esthétiquement différent? Sonia Chamkhi : D'abord permettez-moi de rectifier un détail : je ne suis pas enseignante d'art plastique mais de design Image et de publicité et ce jusqu'à l'année dernière où j'ai obtenu ma mutation à l'Ecole du Cinéma et de l'Audiovisuel de Gammarth (ESAC) où j'enseigne l'écriture du scénario, la narratologie et l'esthétique du film. D'ailleurs parallèlement à l'enseignement du Design Image et de la publicité, j'ai donné des cours de cinéma dans une école privée ( EDAC). Du coup, ma spécialisation a plus attrait à l'écriture (récit littéraire ou filmique) et à la réalisation cinématographique. J'ai délibérément opté pour un cinéma populaire de qualité. J'avais souci de m'adresser à un large public sans faire de concession sur la qualité artistique de mon travail. Et je pense même que des producteurs m'ont fait confiance entre autres parce que j'avais ce souci de la réceptivité. Cela est-il une différence esthétique en soi ? Si l'esthétique est une force d'expressivité, de sensation et d'affects, je dirai humblement oui : j'ai une sensibilité singulière et mon travail est extrêmement personnel. Mais si vous entendez par là des films arts et essais, des expériences filmiques à proprement parler artistiques : jusque-là ce n'était pas ma visée. Mais cela n'est pas exclu : j'y pense même de plus en plus : se libérer des contraintes de la production et du marché est un luxe. Et je veux bien me l'accorder d'autant plus que le cinéma en Tunisie agonise et qu'il n'est plus tenable de faire tant d'efforts pour un marché moribond. Votre profil d'universitaire, académique, marqué par les règles et les canons artistiques, n'influence-t-il pas le profil artiste qui cultive la marginalité, l'exubérance, la démesure ? D'abord, j'ai eu un parcours académique assez mouvementé : il est fait de bifurcations, de ruptures, de changements. Je n'ai eu de cesse que de poursuivre les savoirs et les savoirs- faire qui me passionnent et répondent à des interrogations existentielles. Et si je suis une bonne académicienne c'est parce que j'aime lire et que je crois que sans la connaissance la vie est une crevasse. Par contre, ces savoirs ne relèvent pas forcément comme vous dites des règles et des canons (abandonnés d'ailleurs depuis l'avènement de l'art moderne et de l'esthétique – qui n'est pas la « traditionnelle » science du beau- . La réponse un peu plate -vous me le pardonnez- serait qu'une large partie de mon savoir académique (d'abord esthétique) est celui de la perception, de la sensation, du SENSIBLE qui a partie prenante à la marginalité, à l'exubérance et à la démesure mais pas uniquement d'ailleurs.. Par contre si vous sous-entendez « la figure de l'artiste maudit » : il se trouve que de Rimbaud à Toulouse Lautrec c'est plutôt du côté des poètes et des peintres qu'il faudrait les chercher car très peu de cinéastes l'ont été. Quand à la part maudite de chaque artiste, je peux vous l'assurer : nul ni échappe. La mienne est anonyme et partagée : c'est celle de la majorité des artistes tunisiens (tout domaines confondus) qui peinent dans un contexte de décadence à apporter néanmoins un brin d'intelligence...De-là à s'afficher « en tant qu'artiste maudit et marginal » c'est un pas que je ne franchirai pas : mes déboires sont mes affaires personnelles et la création est une bonne catharsis que je recommande d'ailleurs à tout un chacun : écrivez, peignez, pratiquez une musique, du chant, cela prémunit de la violence et de la bêtise. Vous avez abordé dans vos films le patrimoine immatériel tunisien. Comment pourrait-on proposer un traitement du patrimoine qui ne tombe dans le folklorisme ? Je n'ai pas de recettes. Je fais à ma façon et je me prémunis de tout traitement folklorique. Vous avez réalisé plus de films documentaires que de fiction. Pourquoi ? Pour des raisons purement financières. Les films de fiction sont nettement plus onéreux. Entre une fiction et une autre, j'écris un essai ou un roman et/ ou réalise un documentaire : mais je le fais toujours avec la même passion et la même rigueur. Présentez-nous votre nouveau film. C'est un long métrage de fiction intitulé Aziz Rouhou (Narcisse pour le titre français) avec pour les rôles principaux Fatma Zaidane, Jamel Madani, Aicha Ben Ahmed, Ghanem Zrelli et une pléiade d'acteurs talentueux dont Sondess Belhassen, Wassila Dari, Najoua Miled, Monem Chouaeit, Basma El Euchi, Slah M'ssadek et de nouvelles découvertes dont Walid Khadhraoui et Farès Landolssi et Zeineb Bouzid. L'équipe de films est totalement tunisienne qu'il s'agisse de l'image (Directeur photographie : Mohamed Maghraoui) du montage (Karim Hamouda), du son ( Moez Cheikh), de la musique ( Oussama M'hidi) et du Mixage ( Hachemi Joulak)...Je suis dans la même veine et j'espère que comme pour mes films précédents, le public ( d'abord tunisien et ensuite d'ailleurs) adhèrera et se sentira concerné. Et si ce film obtiendra autant de sélections à des festivals internationaux et autant de diffusions télévisuelles que mes anciennes productions, je dirais que le pari de faire un long métrage de fiction dans le marasme économique actuel du cinéma tunisien est tenu. Et permettez-moi de remercier mon producteur exécutif Lotfi Layouni qui m'a soutenue dans des moments très durs et toute l'équipe du film qui a donné le meilleur d'elle-même... Seriez-vous présente dans les JCC ? Je ne sais pas encore. Comment évaluez-vous l'initiative de programmer les JCC annuellement ? Très bonne initiative : il faut plus de visibilité pour le film tunisien mais encore faut-il aussi démarrer l'application des réformes. Cette année, nous avons plusieurs films (dont quelques-uns ont entamé leur production depuis plusieurs années) mais que ferions-nous pour les prochaines sessions : un festival tunisien sans films tunisiens ? Votre dernier mot Je suis peu optimiste pour l'avenir de notre cinéma : un cadre juridique et économique obsolète, des passe-droits, du clanisme et un statuquo qui semble arranger les « affairistes ». Sur le moyen terme (si ce n'est le court terme) c'est la déchéance du secteur. A moins que les consciences s'éveillent...et je félicite tous les acteurs du domaine qui s'acharnent et arrachent des réussites en dépit et malgré tout : le cinéma est mort, vive le cinéma.