Les dernières saisons culturelles ont souvent été accompagnées par un réveil des ciné-clubs. Ce réveil est double et se déploie à deux niveaux. En premier lieu, la Fédération tunisienne des ciné-clubs a retrouvé une part de sa visibilité perdue grâce à de nombreuses actions et un réseau national en reconstruction. D'autre part, plusieurs initiatives ont vu le jour dans les anciennes salles de cinéma qui, pour la plupart, ont été reconverties en théâtres. Enfin, il serait tentant d'intégrer dans ce nouvel essor des ciné-clubs les nombreuses journées cinématographiques organisées à travers le pays, dans la mesure où ce sont en général des ciné-clubistes qui sont à l'initiative de ces manifestations qui ajoutent à la projection des films la nécessaire dimension de débat d'idées. Le nouvel essor de la FTCC La Fédération tunisienne des ciné-clubs (FTCC) est en train de reprendre du poil de la bête. Il est en ce sens important que les pouvoirs publics soutiennent ce nouvel essor à deux niveaux au moins. En premier lieu, il est important de consolider les subventions dont bénéficie la fédération en les accroissant, afin de donner une assise administrative plus importante à cette institution qui figure parmi les doyennes de nos associations culturelles. Ensuite, il serait important de consolider la présence de la FTCC dans les milieux scolaire et universitaire à travers des accords avec les ministères concernés. Avec ses cycles "Un ticket pour...", la FTCC a fait preuve de créativité et d'éclectisme dans ses choix cinématographiques. Le travail de diffusion culturelle a ainsi trouvé un vecteur de marque bien relayé par les différentes journées organisées tout au long de l'année. A ce titre, il serait utile de créer davantage de synergies avec l'autre grande association culturelle qu'est l'association pour la promotion de la culture cinématographique (ATPCC). Cette dernière a aussi de nombreuses initiatives dans le domaine du débat de films, d'analyse d'œuvres mais aussi au niveau institutionnel, comme le montrait la récente rencontre consacrée à un bilan critique des JCC. Il est d'ailleurs plus que temps de recadrer les JCC et les remettre sur des rails qu'elles n'auraient jamais dû quitter, abandonnant leur identité fondatrice pour un monde illusoire de strass et de paillettes. De fait, il est clair que les associations cinématographiques dans leur ensemble se mettent actuellement en mouvement et que l'une des matrices qui sous-tendent leur démarche est bien l'identité à retrouver des JCC. Pour l'instant, les progrès structurels de la FTCC et de l'ATPCC sont une donne nouvelle qui pourrait contribuer à une dynamisation de l'activité des ciné-clubs sur tout le territoire. Capillarité, profusion, dissémination De nombreux clubs de cinéphiles ont vu le jour aussi bien au sein des salles de cinéma reconverties en théâtres qu'au niveau de certains centres culturels. Ainsi, le dernier en date de ces ciné-clubs est celui qui vient de reprendre ses activités au Rio, avec un programme qui ne manquera pas d'accompagner la démarche de cette salle qui ancre son action dans le culturel. Cette tendance de cercles de cinéphiles a d'ailleurs commencé au ciné AfricArt, installé dans l'ancien cinéma Africa. Le ciné-club, alors animé par Tahar Chikhaoui, avait réuni un nombre important de cinéphiles et brassé large dans ses choix. Aujourd'hui, le Rio a pris le relais avec les membres de l'ancienne équipe de l'AfricArt et de nouveaux cinéphiles. Cette tendance peut aussi être observée du côté d'El Manar et El Menzah, avec un activisme cinéphile naissant dans les salles de ces quartiers et aussi une reprise de l'ancien Ciné-Jamil par des jeunes motivés par le septième art. Même tendance depuis plus de six ans au Théâtre Al Hamra. Après la génération "Cinéfils", Al Hamra revient symboliquement aux sources en abritant un ciné-club nommé "Le cercle de l'Alhambra", du nom de l'ancienne salle de cinéma où s'est installé le théâtre. Très actif depuis sa récente création, ce ciné-club a proposé des programmes consacrés à René Vautier ou à Faten Hamama faisant preuve d'un sens du rebond sur l'actualité et de la célébration des grands disparus. En ce sens, de nombreux ciné-clubs s'activent comme celui de Ciné-Madart qui rendait hommage à Charlie Chaplin ou encore ceux des médiathèques françaises dont la programmation est toujours exigeante. Citons comme exemple, la manifestation en cours à Sousse autour des Césars du cinéma français, sans omettre de mentionner le travail gigantesque opéré dans la perle du Sahel par Hamadi Kedidi, un ciné-clubiste historique. Cette tendance existe aussi dans certains centres culturels. Ainsi, si la maison de la culture Ibn Rachiq privilégie plutôt les semaines consacrées au cinéma étranger, le club culturel Tahar Haddad a pris depuis trois ans l'initiative de créer un ciné-club au sens large avec "Pelliculture" qui se consacre à l'image au sens large et au cinéma en particulier. "Pelliculture" a ainsi animé des cycles autour des œuvres de Kalthoum Bornaz, Omar Khlifi, Hichem Ben Ammar ou Naceur Khmir. De plus, ce club a engagé une réflexion poussée sur des thèmes comme l'image de l'adolescent au cinéma ou encore l'esthétique du noir et blanc dans le cinéma tunisien. Pour cette saison, "Pelliculture" s'ouvre au grand large et consacre un cycle au cinéma argentin. Ardeur, élan et bouquet d'initiatives Il serait vain de tenter de citer toutes les initiatives mais il convient de souligner que c'est dans leur capillarité, leur profusion et leur dissémination que se situe le déploiement de la cinéphilie et le retour au cinéma comme media formateur pour une jeunesse souvent sans repères voire complètement déboussolée. A ces clubs s'ajoutent- et ce n'est pas un moindre atout- les différentes journées cinématographiques organisées à travers le pays. Récemment, la maison de la culture Férid Ghazi à Houmt Souk accueillait un festival de films tunisiens récents. Une belle initiative qui démontre que la cinéphilie peut s'appuyer sur des journées de ce genre pour confirmer son nouvel élan. Il suffirait que des équipes mobiles d'animateurs de la FTCC puissent participer à ces festivals et en encadrer les débats. D'ailleurs, cela se fait dans nos plus grands festivals à l'instar des JCC ou du FIFEJ. Par ailleurs, cette revue des initiatives actuelles ne saurait être complète sans deux autres éléments. D'abord, le travail de fond réalisé par la Fédération des cinéastes amateurs et les écoles de cinéma pour l'ancrage de la pratique cinématographique et de la lecture critique des œuvres. D'autre part, des initiatives comme celles du site cinématunisien.com ne sauraient être passées sous silence. Car même si les activités de ce cercle relayé numériquement se déroulent plutôt à Paris, leur impact et leur caractère exemplaire ont une valeur indéniable. Ainsi, ce cercle organisait récemment un hommage à René Vautier en présence de Mahmoud Jemni, l'un de ses assistants tunisiens. Bouquet d'initiatives et ardeur intacte pour les cinéphiles tunisiens qui gardent aussi la mémoire des pères fondateurs, de Tahar Cheriaa à Moncef Ben Ameur en passant par Nouri Zanzouri et d'autres encore. Un souhait pour terminer: pourquoi tous les cinéphiles ne se réuniraient-ils pas pour rendre hommage au doyen Mustapha Nagbou, infatigable animateur de la revue Septième Art avec Neila Gharbi et mémoire vivante, avec Omar Khlifi et Sophie El Goulli, des premiers pas du cinéma tunisien? Ce ne serait que justice envers celui auquel les JCC tournent le dos, ignorant ce que lui doit cette manifestation. On peut en rêver et aussi avoir le secret espoir que pareille initiative, si jamais elle voyait le jour, pourrait englober dans le même mouvement ces autres doyens que sont Khlifi et El Goulli... Aux jeunes cinéphiles de renouer les liens avec les anciens!