La dernière ligne droite de la campagne électorale de la présidentielle commence avec de grands meetings programmés à la Coupole d'El Menzah, qui seront animés aujourd'hui, par Béji Caïd Essebsi, candidat de Nida Tounès et demain par Hamma Hammami, candidat du Front populaire. D'autres meetings sont prévus dans différentes régions. On passe à la vitesse supérieure. Certains candidats ont fait du tractage. Quel sera le résultat final ? Tout dépendra du comportement des électeurs. Quelles sont ses attentes ? N'étant pas habitué aux joutes électorales, l'électeur va-t-il agir comme il l'avait fait lors des législatives où les votes sanctions et utiles avaient prévalu ? Qu'est-ce qui va déterminer son choix ? A part les prérogatives accordées au futur locataire de Carthage, contenues dans la Constitution, en quoi la campagne présidentielle est-elle différente de celle qui a précédé les législatives ? Peut-on parler de vote utile, aujourd'hui ? Un homme face au peuple Pour Hassen Zargouni, DG de Sigma Conseils, institut de suivi de l'évolution de l'opinion publique, les législatives sont l'occasion d'une rencontre entre un parti ou une liste indépendante et ses électeurs, alors que la présidentielle est la rencontre d'un homme avec le peuple. Il précise au Temps : « la différence majeure réside dans le fait que les législatives s'opèrent sur le plan local et régional par circonscription, alors que la présidentielle est une échéance électorale nationale. Par conséquent, autant la campagne des législatives est marquée par la proximité, la conviction et les projets locaux, autant la présidentielle est plus basée sur l'empathie, l'attrait personnel des candidats et leurs capacités de convaincre pour briguer la magistrature suprême. Donc, l'attente des électeurs est différente. Les campagnes électorales se déploient différemment. On n'a pas besoin de faire du porte à porte, mais des meetings nationaux. Les messages aussi sont d'une autre nature. Les mécanismes d'une présidentielle, n'ont rien à voir avec ceux des législatives. Même l'électeur se comporte d'une autre manière. A Tozeur, par exemple, dans les législatives, l'électeur est sensible à ce que proposent les candidats pour sa circonscription. Le même électeur, à la présidentielle, est à l'affût de tout ce qui est dit à l'échelle nationale ». Peut-on parler de vote utile dans la présidentielle ? Notre interlocuteur préfère parler de report de voix. Il précise : « les partis qui n'ont pas proposé de candidats vont donner des consignes. Pour les candidats soutenus par leur parti, ils comptent sur leur base. Quant aux indépendants, les choses sont très compliquées ». Positions franches, directes et explicites La différence entre les deux élections est grande dans leur perception par les citoyens. Nabil Belaam DG d'Emrohd Consulting rappelle que lors des législatives tout le monde savait qu'on élisait des députés répartis sur tout le territoire. Il déclare au Temps : « il y a une décentralisation au niveau de l'offre politique. Ce n'est pas le cas de la présidentielle. Du coup aux législatives les rapports de forces, les contacts directs et la proximité jouent beaucoup auprès de l'électeur. Dans la présidentielle, les enjeux sont différents et plus complexes pour le citoyen. Nous observons un travail de réflexion et d'hésitation auprès des Tunisiens pour choisir leur candidat. Apparemment, la bipolarisation, nous allons toujours l'avoir. Tout le monde sait qu'il y a deux grands choix entre Béji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki. Donc, la semaine prochaine sera décisive pour savoir qui va dominer la scène. Beaucoup de partis et de leaders politiques présents dans les législatives vont être plus expressifs pour soutenir tel ou tel candidat. D'ailleurs, avant la décision d'Ennahdha de ne soutenir aucun candidat, ses sympathisants attendaient une position claire. Elle n'a pas tranché, même s'il y a un support implicite pour un candidat. Au cours de la dernière semaine, on verra si ce soutien deviendra explicite pour booster le candidat Moncef Marzouki. Pour Béji Caïd Essebsi, Afek Tounès décidera demain. L'Union pour la Tunisie et Al-Massar ont donné quatre alternatives. Ça se précisera la semaine prochaine. Ce sont les positions franches, directes et explicites des partis politiques qui vont aider énormément les candidats à aller voter pour un candidat, plutôt qu'un autre. Le vote utile dont parlent certains, n'est pas encore visible. Il le sera lors du second tour ». Jawhar Ben Mbarek coordinateur de Dostourna, pense que l'enjeu majeur pour les candidats est d'arriver au second tour. Il déclare au Temps : « Le véritable enjeu est au 1er tour et non au second. Il s'agit de trancher qui sera face à Béji Caïd Essebsi au second tour. Si un ancien de la Troïka y est, il n'y a plus d'enjeux. Le vote utile jouera, comme aux législatives. Si au deuxième tour –hypothèse difficile à réaliser- un candidat de la famille démocratique, comme Hamma Hammami ou Mustapha Kamel Nabli passe, les jeux seront ouverts. Le vote utile ne jouera plus ». Une bipolarisation à la limite fictive Le constitutionnaliste Kaïes Sayed est assez sceptique. Il pense que la même atmosphère et ambiance de la bipolarisation semble s'installer en Tunisie. Il déclare au Temps : « On dirait que l'électeur n'a le choix qu'entre deux personnes ou deux partis. Face à cette même situation, l'électeur se comportera-t-il autrement qu'au 26 octobre dernier ? Il semble que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Cependant, un certain nombre d'électeurs pourront avoir une attitude autre, surtout que leur réaction lors de la proclamation des résultats des législatives, traduit un sentiment particulier, d'être en quelque sorte, victime d'une certaine manipulation, de cette bipolarisation à la limite fictive. Les problèmes du peuple tunisien n'ont rien à voir, ni avec ce pôle, ni avec l'autre. Aujourd'hui au moins, rien ne permet de répondre à la question du comportement de l'électeur. Les attitudes pourraient changer, s'il y a un second tour. Le taux de participation sera plus élevé que lors du 1er. Mais tout est relatif. Les 2/3 de l'électorat potentiel qui ont boudé ou boycotté les élections du 26 octobre, ne semblent pas intéressés par le verdict des urnes de la présidentielle. Il se peut que l'enjeu soit dans les esprits et dans l'image que se font aussi bien les candidats que la majorité écrasante des Tunisiens de la fonction du chef de l'Etat. Cette image pourra faire augmenter le taux de participation. L'électeur est en quête d'un leader, alors que le président a des compétences limitées. L'augmentation du taux de participation sera également faible ».