Avec Siegfried Lenz, décédé le mardi 7 octobre, à l'âge de 88 ans, l'Allemagne perd l'un des grands noms de la littérature germanique d'après-guerre. Cet auteur prolixe, devenu célèbre avec La Leçon d'allemand, était aussi important mais moins présent dans les débats publics que ses collèges Günter Grass ou Martin Walser. Lenz entretenait par ses livres empreints d'un profond humanisme une relation particulière avec le grand public. L'image était à la Une de la plupart des journaux allemands, mercredi dernier. On y voit Siegfried Lenz dans sa pose favorite en train de fumer la pipe, une passion qu'il partageait avec son collègue et ami Günter Grass. « Un grand homme discret est mort hier » écrit le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. Un aspect de la personnalité de Siegfried Lenz que souligne également le Tagesspiegel de Berlin : « Il ne fut jamais un porte-voix, ni quelqu'un aux allures de star, amoureux des feux de la rampe. Il préférait œuvrer à l'arrière-plan. Le public lui conserva sa loyauté, séduit par l'humanisme de ses livres ». Cette relation particulière de l'écrivain avec les lecteurs est également mise en avant par le Süddeutsche Zeitung : « Il racontait aux Allemands leur histoire et leurs histoires. Chacun de ses livres remplissait sa promesse, traiter les personnages avec respect. » Cette popularité de Lenz s'illustre également par le fait que les deux chaînes publiques de télévision, l'ARD et la ZDF, ont immédiatement modifié leurs programmes pour diffuser aux heures de grande écoute des films adaptés d'œuvres de l'auteur. La plus connue La Leçon d'allemand, parue à la fin des années 1960, a été un best-seller en Allemagne comme à l'étranger et de nombreux écoliers l'ont étudié. Comme d'autres livres de Siegfried Lenz, cette œuvre évoque la façon dont le nazisme pénétra les esprits et comment beaucoup sous le IIIe Reich ont fait « leur devoir » sans esprit critique. Lorsqu'il reçoit le très renommé prix de la Paix des libraires allemands en 1988, Siegfried Lenz qui fut enrôlé dans la marine allemande en 1944 avant de déserter, explique : « Auschwitz nous appartient. C'est une illusion de croire que nous pouvons vivre en paix avec ce passé ». Dix ans plus tard, son collègue Martin Walser recevant le même prix provoquait une polémique en estimant qu'il fallait en finir avec « la massue morale » incarnée par Auschwitz stigmatisant à jamais les Allemands. La réconciliation avec la Pologne Comme Günter Grass, Siegfried Lenz était originaire de territoires cédés après 1945 à la Pologne. Contrairement à de nombreux nostalgiques, il s'est engagé très tôt pour une réconciliation avec le voisin oriental de l'Allemagne et a soutenu activement le chancelier social-démocrate Willy Brandt dont l'Ostpolitik avait pour but de rapprocher les deux pays malgré une histoire des plus douloureuses. Une amitié de cinquante ans liait ce compagnon de route de la social-démocratie au successeur de Willy Brandt, Helmut Schmidt. Un livre sur cette longue relation entre les deux hommes sort ces jours-ci en Allemagne. Siegfried Lenz qui s'est éteint mardi à 88 ans laisse derrière lui une œuvre prolixe forte de 14 romans, une centaine de récits, de nombreuses nouvelles et autres pièces de théâtre. Ses textes ont été traduits dans plus de vingt langues et se sont vendus à 25 millions d'exemplaires à travers le monde. Cette popularité de Siegfried Lenz explique aussi les nombreuses réactions depuis l'annonce mardi de sa mort. « Notre pays a perdu l'une des plus grandes figures de la littérature allemande » a déclaré le président Joachim Gauck. Pour le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier « une partie de l'Allemagne nous a quittés ». « En ne refoulant pas sa propre histoire, mais en effectuant un travail de mémoire, Siegfried Lenz a contribué à restituer à l'Allemagne sa réputation de "Kulturnation" » a résumé la ministre de la Culture Monika Grütters