Il ne se passe plus un jour sans que le siège de l'Assemblée Nationale Constituante ne soit le théâtre d'un incident cocasse ou franchement risible. Qu'on en juge d'après les séances de samedi et lundi derniers : le coup de gueule de Karima Souid qui laisse sans voix Arbi Abid (deuxième vice-président de l'A.N.C.) ; les « perles » de Sonia Ben Toumia qui assimilent destour et parures de mariage ; l'effusion lacrymale et la grosse déception d'Iqbel M'saddaâ ; et l'amère démission d'Ahmed Khaskhoussi. A elle seule, la prise de bec entre Karima Souid et Arbi Abid mérite un commentaire de dix pages. Il faut dire que ce dernier a provoqué la constituante d'Al Massar. C'est d'ailleurs dans ses habitudes de couper la parole aux députés de l'Opposition et de railler ou de dénigrer les interventions qui ne lui plaisent pas. En fait, il ne diffère pas beaucoup de ses deux « supérieurs », Mustapha Ben Jaâfar et Meherzia Laâbidi dont il adopte quelques attitudes agressives, inappropriées et inconvenantes. Il leur emprunte par ailleurs un humour bas de gamme et souvent déplacé. Lenteur suspecte Cette fois-ci, il est tombé sur une « dure à cuire » qui finit par lui imposer un mutisme quelque peu humiliant. S'agit-il d'un silence de dépit ou de capitulation, là n'est pas le problème ! A l'A.N.C., on perd –délibérément ou bêtement- un temps fou avant que les constituants prennent la parole. Quant aux interruptions souvent injustifiées des interventions de ces derniers, elles se calculent certainement en heures et pas en minutes. Le député Khmaïes Ksila (de Nida Tounès) déplore que l'Assemblée Constituante ait recours à un temps additionnel pour achever la rédaction du Destour. Mais à qui la faute si cette Assemblée est lymphatique à ce point? Aujourd'hui, bien plus qu'auparavant, le citoyen ordinaire soupçonne cette lenteur d'être voulue et de servir des desseins sordides et / ou bassement partisans. Le projet dont on dit qu'il circule entre constituants et qui porterait sur des revendications financières en vue de leur retraite rappelle- s'il existe- la fameuse pétition qu'avait improvisée puis retirée le député Salah Chouaïb, il y a quelques mois. Les gens simples que nous croisons quotidiennement sont ulcérés et révulsés par les échos qui leur parviennent sur cette institution de plus en plus brocardée et même ridiculisée. Des rires et des larmes A dire la vérité, c'est l'A.N.C. elle-même qui déclenche la dérision des Tunisiens. Lorsque Sonia Ben Toumiyya confond contrat « akd » avec parure de mariée « ikd », et rédaction (siyagha) avec bijoux (s'yagha), on ne peut que rire honteusement de cette Assemblée dont les débats tournent à la mascarade. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui suivent la couverture télévisée de ses travaux à la recherche de blagues et d'aberrations à rapporter et à commenter entre amis. Si bien que parfois, (ou souvent, cela dépend des goûts) la couverture diurne des débats de l'A.N.C. s'avère plus amusante que le menu de divertissement nocturne que proposent nos deux chaînes publiques. Cependant et exactement comme à la télé, les séances de l'A.N.C. ne sont pas toutes drôles. La part dramatique n'y est pas négligeable : on se chamaille, on s'insulte, on échange les menaces, on en vient quelquefois aux mains et l'on pleure. Lundi, Iqbel M'saddaâ (du C.P.R.) ne s'est pas retenue de verser des larmes abondantes et manifestement sincères sur le brouillon de Constitution sur lequel ont débouché plusieurs mois de discussions, de polémiques, de différends et de rectifications. La pauvre députée en voulait, la mort dans l'âme, à Habib Kheder responsable à ses yeux des principaux travers de la version actuelle du Destour. C'était pour de vrai très touchant. Pour un peu, nous l'aurions relayée dans son effusion larmoyante tant il y a de quoi faire pleurer à l'A.N.C. ! Le déferlant ras-le-bol Ahmed Khaskhoussi nous parut, lui aussi, pathétique au moment d'annoncer son intention de démissionner. Sa lecture du texte préparé à cet effet lui était extrêmement pénible. Certes, il paraissait moins spontané dans son amertume que la constituante du C.P.R. Il n'a pas pleuré, mais l'instant était tout aussi fort pour nous autres spectateurs du « mélodrame ». Nous l'avons écrit dans un précédent article : le feuilleton du Destour nous réserve bien des surprises. La démission, malgré tout solennelle, de Khaskhoussi en est une. Libre à vous d'y flairer un jeu de comédiens. Il s'agit en définitive de « moumatheline », n'est-ce pas Mme Ben Toumiyya? Toujours est-il que cette défection coïncide avec une campagne des plus farouches menée depuis la rue, les sièges de certains partis de l'Opposition et les réseaux sociaux, contre l'A.N.C. et sa sacro-sainte « légitimité ». Eh oui, aujourd'hui plus que la veille du 23 octobre 2012, l'argument de la légitimité est mis à mal, esquinté même. On ne peut désormais le brandir sans tomber quelque peu dans le ridicule. Il y a même plus grave : c'est la dissolution de l'A.N.C. qu'on revendique prioritairement. Dans ce sens, la démission d'Ahmed Khaskhoussi, motivée par des raisons éthiques et politiques, pourrait préfigurer une cascade d'autres défections de la même portée. Probabilité faible certes, mais la rue, le mouvement « tamarrod » et une certaine gauche dépitée sont capables de la renforcer. C'est ainsi peut-être que l'Opposition réalisera son premier « demi putsch » contre la Troïka. Par la suite, elle aura le choix de progresser par « demi putschs », ou d'acculer Ennahdha et sa Troïka à passer le plus vite aux élections ! Scénario optimiste, nous le reconnaissons ; mais une chose au moins est sûre : une majorité de Tunisie en a assez des frasques de l'A.N.C. !