Le barrage des routes est une pratique très courante chez nous, elle fait partie intégrante du trafic routier et agit à la manière du feu rouge et des panneaux de signalisation du code de la route. Ces barrages sont installés de jour comme de nuit, on en use quand on veut dégager la voie pour laisser passer les hommes politiques qui, pour veiller à nos intérêts, ont besoin d'aller vite, très vite.
Chantiers en pleine journée
Mais il arrive que l'on bloque la circulation non pas pour donner la priorité à quelqu'un de privilégié, mais pour en priver tout le monde sans distinction aucune. C'est ce qui arrive lorsqu'on barre des routes pour cause de travaux qui, selon la tradition tunisienne, interviennent le jour et non pas la nuit, le moment propice à de tels chantiers, et si on procède de la sorte ce n'est pas parce que ces heures sont payés double, ce choix s'inscrit, plutôt, dans un souci d'équité évident : les heures de travail et celles de repos devraient être les mêmes pour tout le monde, de plus, la nuit c'est fait pour dormir et il n'est pas question de déranger la quiétude des gens à ce moment de récupération.
Les apports de la Révolution
Avec la Révolution, il est apparu d'autres mobiles justifiant la pratique de ce rituel. La nouvelle mode revêt un aspect revendicatif lié à la conjoncture se caractérisant par le mécontentement général provoqué par les problèmes sociaux cruciaux qui s'aggravent de jour en jour. Le barrage de routes devient presque quotidien surtout dans les régions les plus déshéritées où jaillit une flambée de colère après l'improductivité constatée des discours qui se voulaient rassurants. L'autre type de barrage routier enfanté par la Révolution est sécuritaire comme on en voit à la Kasbah où la place est envahie de fils de fer barbelés. Il est vrai que ce type existait bien avant, mais pas de cette façon, il a pris de l'envergure en raison de la conjoncture. On trouve qu'il est exagéré outre mesure quant il s'agit d'en user autour de l'ambassade américaine. Cela réveille nos souvenirs.
Souvenirs poignants
Avant son déménagement et son installation sur son nouveau territoire situé à mi-chemin entre l'Aouina et le Lac 2, elle occupait une partie importante de la capitale de par son immensité et son emplacement, puisqu'elle donnait sur deux grandes avenues, celle de la Liberté et celle de Taïeb M'hiri. Au niveau de la Place Pasteur, l'embouchure de ces grandes artères constitue l'accès principal à la ville de Tunis du côté nord que ce soit pour les automobilistes ou pour les piétons. En dépit de leur indispensabilité pour la circulation, ces avenues étaient barrées systématiquement à chaque fois qu'il y avait une activité sportive à El Menzah, et le public était contraint de passer par l'Avenue Mohammed V même si on habitait à Bab el Khadra, on était obligé de faire le détour qu'on eût été jeunes ou vieux, garçons ou filles.
Déménagement intempestif
Ce calvaire pour les usagers de la route continue et devient encore plus poignant à cause des événements dramatiques du 14 Septembre. Ce ne sont pas seulement les routes renfermant l'ambassade et l'école qui sont fermées à tout trafic, mais aussi celles y attenantes surtout les vendredis où la localité tranquille de l'Aouina connaît des embouteillages et se transforme en centre-ville aux heures de pointe. Les automobilistes venant de Tunis à destination de la Marsa ou de la Goulette se trouvent obligés de faire de grands détours en empruntant des ruelles inconnues pour eux tout en risquant de se fourvoyer et, faute d'indications, se font aider des passants pour retrouver leurs repères. Dans ce remue-ménage, on ne daigne même pas placer des panneaux d'indication, ni des agents de la police de circulation pour montrer le chemin aux chauffeurs et rendre, ainsi, le trafic plus fluide.
Et l'intérêt des citoyens ?
Assurer la sécurité de l'ambassade et de l'école américaine après ce qui s'est passé n'est pas à discuter, mais c'est la manière de l'assurer qui est, à nos yeux, exagérée et devrait être révisée. Une voie de la GP9 longeant le mur de l'ambassade qui mesure près d'1 kilomètre est supprimée par des écueils, et la route principale du lac le traversant de part en part qui lui est parallèle et où se trouve l'entrée principale de l'ambassade est totalement fermée. A cause de ces nombreux barrages, le trafic routier se trouve paralysé et l'activité commerciale et les centres récréatifs se trouvant tout autour s'en ressentent très sérieusement en particulier pendant les wek-ends. La mise en place d'un dispositif imposant à des endroits stratégiques est capable d'assurer une sécurité sans faille et sans nuire ni aux riverains, ni aux passagers, une bonne sécurité n'a pas besoin d'être exhibée. Car on n'est pas en Afghanistan ou bien en Pakistan pour fermer toutes les issues sur un grand périmètre et y installer tout un arsenal, nos « terroristes » n'ont pas la trempe de ceux d'Al Qaâda , ni d'ailleurs leurs moyens militaires impressionnants, cela en plus du milieu culturel qui leur est complètement défavorable, et s'ils ont « réussi leur coup » du 14 Septembre, c'était en grande partie grâce à l'indulgence policière et aux grandes « bourdes » commises par les responsables de la sécurité qui ont fermé devant et se sont découvert par derrière, la brèche par laquelle sont passés les « Salafistes » ! C'était l'explication très plausible avancée par le ministre de l'intérieur, on espère qu'il en tire la leçon et que, la prochaine fois, la vigilance des forces de l'ordre ne sera pas concentrée seulement sur l'arrière ou l'avant, mais sur les deux à la fois... et aussi sur les flans.
Appréhensions justifiées
Les appréhensions prémonitoires des habitants de l'Aouina d'une éventuelle installation de l'ambassade américaine près de chez eux se sont avérées largement justifiées. Avant l'acquisition du terrain par le Américains, ils ont manifesté leur peur de voir leur localité devenir un point chaud à cause de la proximité de ce voisin très perturbateur. Les Anglais, eux également, ont perturbé les habitants et les commerçants et leur clientèle au temps où ils occupaient un pan de l'embouchure de la Médina, exactement comme le font les Français, actuellement, par leur occupation d'un grand terrain en plein centre-ville.
Un voisin gênant
Toutefois, les Américains se permettent le luxe en élisant Sidi Bou Saïd comme lieu de résidence et amputent cette banlieue classée patrimoine de l'humanité par l'UNESCO d'une bonne partie de son territoire en en privant l'accès aux visiteurs pour cause de sécurité. Les gendarmes du monde contemporain restent de loin les plus gênants par les forfaits innombrables qu'ils ne cessent de causer aux peuples dits tiers-mondistes. Et puisqu'ils sont conscients de cette américanophobie, on se demande pourquoi ils n'ont pas choisi des endroits éloignés des centres névralgiques. Pourquoi n'ont-t-ils pas pensé à se mettre à l'abri des perturbations et préserver, ainsi, les intérêts des gens ? Ce ne sont pas les terrains qui manquent, ni les beaux paysages d'ailleurs. Et si rien de tout ce beau territoire ne leur convient, que ces maîtres du monde qui contrôlent tout et disposent de tout habitent l'une des étoiles qu'ils ont conquises et s'installent dans leur empyrée comme Zeus dans son observatoire olympien !
Une ville étranglée !
Malheureusement, même avec une telle option le problème ne serait pas résolu, car les barrages de routes sont un vieux produit de la maison, ce qui veut dire que ceux érigés pour des revendications sociales ne sont aucunement inquiétants. Au-delà de la légitimité de certaines d'entre eux, ils rassurent par leur caractère provisoire, en ce sens qu'ils disparaîtront dès que cesseront les causes qui les ont faits naître. Ils sont donc provisoires. Mais ceux qui nous inquiètent vraiment sont les barrages éternels, ceux placés tout autour du ministère de l'intérieur bien avant la Révolution, la seule différence c'est qu'avant les barrages étaient formés par des agents, alors que maintenant ils sont constitués de fils de fer barbelés. Autre différence, c'est l'immensité du territoire conquis par annexion des alentours... toujours pour cause de sécurité. Mais laissez ce joyau de la ville, l'Avenue, respirer à pleins poumons et allez vous installer ailleurs ! Vous l'étranglez ! Vous rétrécissez et enlaidissez la ville et empêchez les gens d'en jouir et d'y être tranquilles !