• Besoins sexuels, manque de moyens, pudeurs paradoxales : c'est l'imbroglio La recette est très facile : tout juste, un contrat et deux témoins. Quelques minutes plus tard, les deux amoureux deviennent, par un coup de baguette magique deux époux sans engagements, sans consentement des parents et sans soucis. Ce n'est pas de l'illusion et ça se passe dans nos murs. C'est le mariage coutumier qui commence à foisonner et prendre de plus en plus d'ampleur chez nos jeunes et précisément chez nos étudiants. Chiffres à l'appui : une étude élaborée par une association tunisienne a démontré que 260 jeunes couples issus de 6 universités ont signé des contrats de mariages « Orfi » depuis janvier dernier. Ce mariage est-il légal ? Comment s'est répandu ce phénomène en Tunisie ? Et Comment vivent les couples concernés ? Reportage.
D'une simplicité impeccable, le mariage coutumier a l'air de séduire beaucoup de jeunes tunisiens ayant envie de légaliser leur union sans passer par les complications du mariage « normal ». « Manquant d'expérience et de moyens, un couple peut être facilement séduit par ce mariage notamment avec le concept « halal » qu'il a gagné du terrain après la Révolution et par la suite l'émergence des courants salafistes », explique Sanim Ben Abdallah sociologue et professeur universitaire. Il ajoute que les conditions sociales difficiles, la pauvreté et l'ignorance constituent les facteurs essentiels de cette « union halal » illégale. « Les étudiants ne sont pas les seuls candidats à ce type de mariage. Tout en sachant que cette forme d'union n'a aucune valeur juridique, plusieurs couples issus de milieux défavorisés, à savoir les quartiers pauvres de la capitale et les villes défavorisés du fond du pays, sont de plus en plus sollicités et subjugués par ce contrat répondant, selon eux, aux conditions de la chariâa», explique Sanim Ben Abdallah.
« C'est halal, c'est ce qui importe ! »
Mis à part la pauvreté et le manque de moyens, un autre facteur important allie les quartiers pauvres et les universités : Il s'agit bien évidemment de la forte présence des mouvances islamistes en ces milieux. Selon Néjib Ouadhen, étudiant en 3éme année français à la faculté des Lettres de la Manouba, ces courants islamistes sont à l'origine de la propagation du phénomène du mariage Orfi dans les universités. « La Faculté des Lettres de la Manouba accueillie plus de 13 mille étudiants ce qui fait d'elle un milieu favorable pour faire passer ces influences rétrogrades. Un étudiant ayant le minimum de conscience peut conclure que notre université est devenue la proie des tiraillements entre les différents courants politiques. Le mariage Orfi n'est qu'un vecteur parmi plein d'autres qui mettent en exergue le grand danger auquel est confrontée notre société avec la propagation des pensées salafistes », affirme Néjib en indiquant que toutes les étudiantes portant le niqab et vivant une histoire d'amour ont fini par la légaliser avec un contrat « Orfi ». Parmi ces étudiantes, Nébila, 25 ans, affirme avoir légalisé sa relation avec son petit ami Ahmed avec un contrat « oral », et ce, pour mettre fin à une relation illégale du point de vue religieux. « Je porte le voile depuis plus de 7 ans. Je suis profondément croyante depuis toujours mais je ne pouvais pas porter le niqab de peur du Dictateur. Aujourd'hui, je vis heureuse sous le niqab car je n'ai plus peur de mourir avant de porter le voile intégral. Concernant le mariage, je suis hyper contente de pouvoir enfin légaliser ma situation devant dieu. J'étais un peu hésitante au début car je pensais que c'est illégal mais j'étais encouragée par plusieurs « frères » qui m'ont réconfortée en m'affirmant que c'est Halal et franchement c'est ce qui importe ». affirme Nébila qui n'a pas encore annoncé la nouvelle à ses parents. « Je compte le faire dans les plus proches délais car j'ai peur de tomber enceinte ». Son mari Ahmed était du même avis. « Nous sommes des étudiants et nous ne pouvons pas répondre aux exigences d'un mariage « civil ». Nous sommes aussi des musulmans pratiquants et nous savons bel et bien qu'une relation amoureuse est interdite en Islam. Par la suite, un contrat Orfi répondant aux valeurs de la chariaa était notre seul recours. » Et le consentement des parents ? « Les parents doivent être respectés en tout sauf en ce qui touche à la chariââ », répond Ahmed. « J'ai demandé à mes parents de m'accompagner pour demander la main de Nébila mais ils ont été catégoriques en me demandant de patienter jusqu'à l'obtention du diplôme. Une chose impossible car je serai menacé de commettre le péché d'adultère. J'ai donc choisi de me marier dans les règles de l'Islam », explique Ahmed qui avait une petite barbe mais qui portait un djean et une chemise très élégante.
Appel à la légalisation de l'union halal
Ce qui peut paraître un peu étrange c'est que le mariage « Orfi » n'est plus un tabou dans les milieux estudiantins. « Nous ne parlons plus du principe de mariage coutumier. Nous sommes passés à penser à une manière d'inciter le Gouvernement à légaliser cette forme d'union », explique Arafa, étudiant à la Faculté des Lettres de la Manouba. « Ce contrat conforme à la chariâa semble être la meilleure solution des couples vivant dans des conditions psychologiques très difficiles en ayant à choisir entre vivre pleinement leur amour en rompant avec des principes et des valeurs auxquels ils tiennent , ou de vivre dans la frustration en les respectant. Ces couples ont le plein droit de choisir la forme d'union qui leur soit idéale. Je pense que le Gouvernement sera, tôt ou tard, mené à légaliser le mariage coutumier qui ne cesse de drainer un grand nombre de couple croyants », insiste Arafa qui se dépéchait pour rejoindre une réunion hebdomadaire programmée par un groupe de « frères et sœurs » et consacrée à échanger des conseils concernant les différents problèmes auxquels font face les étudiants dont notamment les détresses sentimentales et sociales, résolus dans la plupart des cas par un contrat écrit ou oral...
Une union rejetée par la loi et la société civile
« N'ayant aucune valeur juridique, le mariage Orfi est considéré comme un délit par le législateur Tunisien », affirme maître Sami Ben Omar, avocat. Et d'ajouter : « le problème c'est que ce type d'union illégale ne peut pas être prouvé. Par la suite, le couple sera traité de concubins si jamais ils partagent le logement ce qui n'est pas le cas de la majorité des concernés car ils accèdent à ce type de contrat par manque de moyens. Sinon, les couples échappent à la sanction ».
Mis à part le fait qu'il soit illégal, le mariage coutumier est dégradant pour les femmes auxquelles il n'offre aucun droit. Pour cela, plusieurs associations défendant les droits des femmes ont entamé des campagnes de sensibilisation pour mettre en valeur le danger auquel sont exposées les demoiselles concernées par ce mariage. « C'est fou ! », s'écrie Héla Ben Chaabane, professeur universitaire et membre dans plusieurs associations. « Je ne sais pas comment qualifier l'ampleur du danger de ce type d'union illégale sur les femmes qui seront délaissées sans aucun droit ni soutien de la part de la société. Il s'agit d'une manière de céder à un besoin purement sexuel avec le minimum d'engagement. Ces jeunes filles prises par le désir ardent de l'amour et les promesses prometteuses de leurs compagnons manquent d'expérience et ne savent pas que cette union provisoire ne leur confère aucune garantie surtout en cas où elles engendrent des enfants. Dans ce cadre, j'appelle toutes celles qui sont tentées par cette mascarade à penser à ses répercussions sur les enfants qui n'auront aucun droit et qui seront considérés en tant que 'bâtards ‘ . Excusez-moi pour le terme mais c'est la pure vérité »renchérit Héla Ben Chaabaneen en ajoutant avoir entendu parler de jeunes étudiants qui signent un contrat « Orfi » par jour et de jeunes étudiantes qui ont découvert que leurs maris étaient déjà mariés.
Outre les répercussions négatives de ce type d'union sur les femmes, sur leurs descendances et sur la société, le mariage coutumier est un mariage illégal qui ne répond à aucun critère de l'union sacrée imposée par Dieu et approuvée par le législateur. En sachant qu'il s'agit d'un phénomène ultra-minoritaire et difficielement quantifiable mais qui répond en premier lieu à des besoins purement sexuels en illustrant les paradoxes de la société tunisienne, à mi-chemin entre libération des mœurs et retour à un Islam longtemps dénigré par les régimes ayant précédé la Révolution ; une question s'impose et s'avère urgente : Comment alors concilier liberté sexuelle et cadre religieux ?