Condamné à mort sous Bourguiba, gracié puis de nouveau arrêté, Ali Larayedh, l'un des principaux dirigeants du parti islamiste Ennahdha, a passé quatorze ans en prison dont treize en isolement. Nommé ministre de l'intérieur le 22 décembre 2011, il confie samedi 17 mars son inquiétude sur les mouvements extrémistes. Les Salafistes représentent-ils une menace pour la sécurité en Tunisie ? Tous les salafistes n'utilisent pas la violence mais le modèle de société qu'ils prônent constitue un danger. Cette approche, cette vue très étroite, a un problème avec le passé, un problème avec la modernité, et risque toujours de déboucher sur des guerres. Mais il faut essayer de faire la différence avec les salafistes djihadistes, qui ont recours à la force et représentent un risque contre lequel aucun pays n'est vraiment immunisé. C'est aujourd'hui le plus grand danger pour la Tunisie et je sais que je vais devoir mener une grande bataille. Comment comptez-vous lutter contre cette mouvance ? Nous pouvons leur ouvrir la voie d'un parti, à condition qu'il réponde aux critères de la loi, pour isoler la minorité qui utilise la violence. Pour ces derniers, nous sommes décidés à agir avec toute la rigueur et la fermeté qu'exige la situation, par le renseignement, les arrestations, en coupants les liens avec les groupes extérieurs des pays voisins ou plus lointains. Il y a un mois, j'ai invité tous ceux qui détiennent des armes, dont celles qui avaient été pillées dans les casernes durant la Révolution, à les restituer contre la garantie qu'ils ne seraient pas poursuivis. Nous savons que les salafistes djihadistes ne rendront pas les armes. Nous allons vers un affrontement, c'est presque inévitable. Nous sommes conscients, aussi, que les mosquées doivent revenir sous le contrôle de l'Etat. C'est un autre front. Nous luttons pour un autre projet de société. Il n'y a pas de différence de stratégie entre le gouvernement et Ennahdha. Ennahdha s'attaque plutôt à la culture pour sauver un maximum de jeunes. La société tunisienne est ouverte, au centre, et je suis convaincu qu'elle n'acceptera pas cette violence. Le récent accrochage entre l'armée et un groupe près de Sfax constitue-t-il un premier signal ? Oui. Ce groupe était composé de trois jeunes, tous âgés entre 22 et 25 ans. Nous voulions les arrêter vivants mais ils ont ouvert le feu et deux ont été tués. Nous en avons arrêté d'autres, une quinzaine qui étaient liés, et certains sont en fuite à l'étranger, notamment en Algérie. L'enquête a prouvé qu'ils transportaient des armes de Libye, et que ce n'était pas la première fois, afin de les stocker et s'en servir dès qu'ils se seraient sentis un peu plus fort. Leur but est de créer un Etat religieux islamique en Tunisie. Ces salafistes, nous le savons, ont des relations avec d'autres groupes en Libye qui ont eux-mêmes des relations avec des groupes algériens. Il faut faire vite, et être très vigilant. Si nous ne les arrêtons pas, nous aurons Al-Qaïda. Existe-t-il des camps d'entraînement en Tunisie ? Ces jeunes se sont entraînés en Libye et certains essaient de le faire en Tunisie, y compris dans les salles de sport. Nous poursuivons tous les entraînements qui ont un aspect militaire. Généralement ils ne durent pas très longtemps, deux ou trois semaines. La Tunisien Abou Ayad, qui a bénéficié de l'amnistie de mars 2011, est-il un de leurs chefs ? Oui. Il dit qu'il ne prêche pas la violence, mais je n'en suis pas sûr. Les leaders en Tunisie ne sont pas très nombreux. Comme lui, certains ont été libérés, d'autres sont revenus de pays voisins et d'Europe. Ils ont le sentiment d'être forts et ont profité de la faiblesse des institutions de l'Etat depuis la Révolution, mais maintenant la situation est en train de s'inverser. Ils savent que le temps presse et que les forces de sécurité ne vont pas tarder à les arrêter. D'autres influences s'expriment à travers les télévisions par satellite. Petit à petit, ces groupes s'agrègent. Le fait que notre pays a été le premier à se soulever dans le monde arabe éveille des sensibilités. Nous sommes très attentifs à cela. J'ai dit que, si besoin était, je rétablirai les visas pour les prédicateurs étrangers. Pourquoi, cependant, la police donne-t-elle l'impression de ne pas vouloir intervenir quand se produisent des troubles ? Les forces de sécurité estiment que leur intervention pourrait faire empirer les choses, parfois, c'est vrai, au prix de quelques dépassements. Dans l'affaire du drapeau (arraché le 7 mars par un salafiste sur le toit de la faculté des lettres de la Manouba, pour le remplacer par un drapeau noir), elles auraient dû le faire, même avec le risque d'affrontement. Ce type d'incidents s'était déjà produit à deux reprises, avant. Mais ce qui compte, aujourd'hui, c'est la signification. Consciemment ou non, ce jeune, par son geste, a exprimé une volonté de tout bouleverser, de faire table rase. C'est cela, la gravité de la chose et c'est ce que cette attaque voulait dire.