Ennahdha a occupé le terrain dans un silence de mort des autres forces. Les résultats des élections étaient pratiquement connus à l'avance. Le discours politique prône le consensus, la réalité est soumise aux rapports de force. Le discours de Marzouki n'engage personne. Economiste, syndicaliste, fondateur du Parti du Travail Tunisien (PTT), Abdeljelil Bédoui, a participé aux élections de la Constituante, suivi les débats au sein de cette institution et se positionne pour la création d'une grande force politique progressiste qui enrichit le paysage politique. Il se livre au « Temps » : Le Temps : quelle est votre analyse des résultats des élections de la Constituante ? Abdeljelil Bédoui : les résultats ont été pratiquement connus avant le déroulement des élections. Ennahdha a occupé massivement le terrain partout dans le pays, dans un silence de mort complet de la part de toutes les autres forces politiques devant les abus en matière d'utilisation de l'argent, d'utilisation des mosquées et de changement des imams, en mettant des imams acquis à leur cause. Les Nahdhaouis, ont pratiquement confisqué toutes les structures locales, régionales… ils se sont accaparés toutes les structures. J'étais à la tête d'une liste à Monastir. La veille des élections, ils avaient conquis tout le terrain. On ne faisait que gratter. Il faut dire qu'en dépit de certains abus, les résultats n'auraient pas changé. 80% de ceux qui supervisaient les bureaux de vote sont des Nahdhaouis ; On harcelait les gens devant les bureaux de vote. Ils ont utilisé tout l'espace public. La catastrophe a été limitée puisqu'ils n'ont pas eu plus de 20% du corps électoral, comparé aux moyens utilisés et les atouts dont ils disposaient. Nous avons eu ce que nous méritons puisque nous avons fermé les yeux. Malheureusement les militants qui se disaient démocrates, s'investissaient dans la Haute instance de protection de la Révolution et ailleurs, alors qu'Ennahdha était sur le terrain. Ils étaient homogènes et en face c'était la dispersion. Que pensez-vous des débats au sein de la Constituante, pour l'adoption de la loi d'organisation provisoire des pouvoirs ? Le débat ne s'est pas déroulé avec une logique consensuelle. C'est un débat qui se faisait en fonction des rapports de force. Quand il y a eu une certaine résistance, des concessions mineures ont été faites. Le discours politique prône le consensus alors que la réalité est soumise aux rapports de force. Quel est votre réaction au premier discours du nouveau Président provisoire, Dr. Moncef Marzouki ? - J'aurais aimé que la forme soit mieux soignée. Au niveau du contenu, j'aurais préféré que le discours insiste sur les problèmes fondamentaux économiques et sociaux et non sur des problèmes marginaux comme le hijab. C'est un discours qui devait tracer un avenir plus lisible. C'est une occasion ratée pour calmer et rassurer surtout que déjà la loi organisant les pouvoirs n'a pas inscrit pleinement la durée. Les pouvoirs du président sont restés dans les meilleurs des cas, flous. Même si le contenu de son discours était mieux, je me demande comment il aurait pu le concrétiser. Son discours n'engage personne puisqu'il n'a pas le pouvoir de réaliser ses promesses. A la limite, c'était un non-évènement. Dommage que la première élection présidentielle après la Révolution nous donne un président sans pouvoir et sans limite précise de son mandat. Un seul candidat, c'est mauvais comme début. Un mauvais départ pour la démocratie. Certains parlent de l'éventuelle création d'un grand parti centriste, pour faire l'équilibre avec Ennahdha. Qu'en pensez-vous ? - Les forces démocratiques et progressistes n'ont pas d'autres choix que s'unir. En cas d'échec, il faut que le citoyen puisse s'accrocher à une alternative visible et claire. Pour les progressistes, c'est une démarche incontournable sinon le paysage politique n'attirera plus les citoyens. Déjà, la moitié des Tunisiens n'ont pas pris part aux élections. Si le paysage politique reste déséquilibré, les Tunisiens peuvent se désintéresser encore plus de la politique. Il faut offrir aux Tunisiens l'occasion de participer. C'est une démarche de salut public pour réussir la transition démocratique. Espérons que les partis puissent dépasser leurs égo pour l'intérêt de la phase historique. Ce n'est pas une démarche seulement partisane, mais une démarche d'intérêt national pour un meilleur équilibre et une meilleure mobilisation des citoyens. Il ne suffit pas de faire l'alternance. Il faut que l'alternance offre de vraies possibilités d'alternative. Il ne s'agit pas de tourner en rond. Il faut avoir des programmes différents qui ne peuvent qu'enrichir les débats. Quelles sont les mesures urgentes à prendre au vu de la situation économique dans le pays ? - A ceux qui ont le pouvoir de le dire. Ma position consiste à réagir. C'est à eux de dire ce qu'il faut faire pour faire face non seulement à la situation à court terme mais aussi à long terme. Ils ont eu la confiance du public. On va attendre. Propos recueillis par Hassine BOUAZRA